Traditionnellement associées à l’accompagnement à la naissance, les doulas élargissent aujourd’hui leur champ d’action pour inclure le soutien en fin de vie. On appelle ces dernières des thanadoulas. Elles apportent une approche plus humaine et personnalisée aux derniers moments de la vie du mourant et soutiennent leurs proches dans cette étape difficile.
Le 1er septembre 2025, par Eva Mordacq
Les doulas sont, étymologiquement, des servantes. Elles¹ ont toujours existé dans l’Histoire bien que leur nom n’apparaisse qu’il y a une quarantaine d’années aux États-Unis. Il faut attendre 2011 pour que le terme entre dans le dictionnaire, avec la définition des éditions Hachette : “Femme qui accompagne une femme enceinte pendant sa grossesse et son accouchement.” Or, la réalité du terrain montre que l’accompagnement peut porter sur le temps de la grossesse, du post-partum et parfois de l’avortement également, et non pas uniquement l’accouchement.
La présence continue d’une doula pendant la grossesse et l’accouchement contribue à réduire le stress et l’anxiété des femmes, favorisant ainsi une expérience plus sereine et sécurisante. Plusieurs études et méta-analyses² montrent que cet accompagnement est associé à une diminution significative du taux de césariennes et d’accouchements instrumentaux. De plus, il existe une corrélation entre le soutien d’une doula et une réduction du risque de dépression post-partum, les femmes se sentant mieux accompagnées et soutenues dans cette période sensible. Il n’est donc pas surprenant que l’on ait souhaité confier d’autres moments clés de nos vies à ces professionnelles.
L’autre extrémité du spectre de la vie
Depuis une vingtaine d’années s’ajoutent les doulas de fin de vie, qui proposent un accompagnement à un autre moment crucial de la vie : celui de la mort. Elles s’appellent les thanadoulas, “thanatos” signifiant mort en grec ancien. Tout a commencé en 2003 aux États-Unis, où un travailleur social en soins palliatifs décide de créer la première formation professionnelle de ce qu’il appelle les “death doula”.
Marie-Christine Laville est elle aussi thanadoula et formatrice, et ce depuis cinq ans. Elle explique que ce métier, ni médical ni thérapeutique, apporte beaucoup aux patients sur le plan humain : “C’est aider l’autre à se révéler, à s’accoucher en quelque sorte avant de mourir.” C’est la perte d’un être cher qui l’a mise sur ce chemin. D’ailleurs, pour exercer, il est souvent demandé d’avoir soi-même traversé un deuil, ce qui permet de mieux comprendre ce que vivent les proches : “Ce métier attire des personnes qui cherchent à retrouver une humanité partagée, à rencontrer l’autre dans l’authenticité, sans superflu. C’est un art d’être présent au moment où il ne reste plus que l’essentiel.”
La thanadoula a donc pour rôle de tenir compagnie au patient en conversant avec lui, souvent sur ce qui va venir après la mort, et là le spirituel tient une place bien particulière. “On parle beaucoup de foi et de croyances en tout genre avec les patients, il faut avoir l’esprit ouvert pour exercer ce métier.”
Ce n’est pas un travail difficile émotionnellement selon la professionnelle : “Ce n’est pas ma propre famille que j’accompagne, ce sont des gens que je ne connais pas, ce qui permet de mettre une distance.” Pour elle, ce métier-vocation permet de vivre de beaux accompagnements et de découvrir l’authenticité, la vraie. Elle aborde les derniers souhaits des personnes qu’elle suit et s’assure qu’ils seront respectés après leur départ : “Qui voulez-vous auprès de vous ? Quelle musique voulez-vous passer à l’enterrement ? Voulez-vous revoir vos enfants avant votre décès ?” Autant de questions qui peuvent paraître trop dures à poser lorsque le mourant est un de vos êtres chers.
Le tabou de la mort
La mort, autrefois intégrée au cœur de la vie sociale et familiale, a progressivement été reléguée aux marges de notre société moderne. Jusqu’au début du XXe siècle, il était courant de mourir chez soi, entouré de ses proches, dans une forme de rituel collectif où la communauté, le voisinage et la famille accompagnaient le mourant. Les enfants assistaient aux derniers instants, les voisins venaient rendre hommage, et la mort faisait partie du cycle naturel de l’existence, visible et partagée.
Avec l’urbanisation, la médicalisation et l’allongement de l’espérance de vie, la mort s’est peu à peu déplacée vers les hôpitaux, les maisons de retraite et les institutions spécialisées. Ce déplacement a contribué à rendre la mort invisible, totalement taboue. Les rituels collectifs se sont effacés, et la société occidentale tend à occulter la réalité de la fin de vie, préférant mettre en avant la jeunesse, la performance et la quête d’immortalité, comme le fait remarquer Marie-Christine Laville.
La doula de fin de vie évoque en souriant la “mortophobie”, ou “thanatophobie” à laquelle notre société semble être confrontée actuellement et elle souligne qu’elle sévit, particulièrement chez les personnes facilement anxieuses.
Ce phénomène a des conséquences profondes : la mort est devenue un sujet difficile à aborder, source d’angoisse et d’incompréhension. Le retour de figures comme les thanadoulas témoigne d’un besoin croissant de réintégrer la mort dans le tissu social, de lui redonner une place centrale, humaine et partagée, à l’image de ce qui se faisait autrefois.
¹ Les doulas sont principalement des femmes, mais certains hommes exercent aussi ce métier.
² https://www.cochranelibrary.com/cdsr/doi/10.1002/14651858.CD003766.pub6/full : Cette méta-analyse de 26 essais randomisés (plus de 15 000 femmes) conclut que le soutien continu (notamment par une doula) réduit la durée du travail, le recours aux analgésiques, le taux de césariennes et d’accouchements instrumentaux, et augmente la satisfaction des femmes concernant leur expérience de l’accouchement.