S’il est un sujet qui a fait couler de l’encre sans tarir ces dernières années, c’est bien l’écriture inclusive. Tantôt moquée tantôt érigée en menace suprême à la langue française, elle ne manque pas de susciter des débats passionnés et des prises de position tranchées dans notre société.
Le 16 février 2025, par Éva Mordacq
Certains médias, après en avoir longuement débattu à son arrivée, ont lentement commencé à adopter certaines formes d’écriture inclusive. Il ne faut en effet pas l’oublier mais elle ne se limite pas à l’utilisation du point médian. La féminisation des noms de métiers (comme “chercheuse”), les doublets (comme “étudiantes, étudiants”), le langage épicène (comme les mots collectifs comme “élèves”), la règle de proximité (comme “les écoliers et les écolières sont intelligentes”) et enfin les néologismes (comme “chercheureuses” et “iels”) sont autant de solutions pour faire apparaître le féminin dans la langue française. Assez ironiquement, on peut se rappeler du discours d’Emmanuel Macron “contre l’écriture inclusive”, où il expliquait notamment que “dans cette langue, le masculin fait le neutre”. Il ne parlait en fait principalement que du point médian et non des autres formes de rédaction inclusive. Il allait même jusqu’à utiliser les doublets en ouverture de ce dit discours : “Françaises, Français”, comme il aime à le répéter à chaque allocution.
Exemple édifiant de la mauvaise foi des médias sur la question : pour ce qui est de la féminisation des noms de métiers, l’Etat recommande, au travers d’une circulaire datant de 1986 “l’usage des termes féminins pour les noms de métiers, fonctions, grades ou titres”. Pourtant, au moment de la nomination d’Elisabeth Borne en 2022 à la tête des cabinets ministériels d’Emmanuel Macron, les médias ont longuement et largement débattu l’utilisation du terme “Madame le Premier ministre” ou “Madame la Première ministre”. Preuve que ce degré le plus abordable de l’écriture inclusive continue à poser problème lorsqu’il touche aux sphères les plus prestigieuses de l’Etat !
Mais qu’en est-il de nos jours ?
Pour répondre à cette question, Quoique s’est tourné vers une journaliste indépendante féministe : Marie Albert. Elle a remarqué trois freins principaux à l’adoption de l’écriture inclusive dans les médias : “Bien que les jeunes journalistes fougueux voulant révolutionner le monde du journalisme pour le rendre plus inclusif ne manquent pas, la plupart sont victimes d’une auto-censure sévère les empêchant de proposer des articles avec un point médian à leur rédaction”. Il est, selon elle, difficile de leur en vouloir quand on se rend compte qu’il y a un réel manque d’initiative de la part de ces dites rédactions concernant l’uniformisation de leurs pratiques inclusives. Seules des chartes internes pourraient réellement régler ce problème. Ce qui n’est pas un hasard non plus quand on connaît la liste des médias détenus par des milliardaires.
Depuis le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis en janvier 2025, les politiques de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI) sont sévèrement remises en question. Certaines grandes entreprises, dont des groupes médiatiques, ont commencé à se distancer des pratiques DEI, craignant des répercussions légales ou politiques. Cette tendance pourrait conduire à une réduction des efforts de diversification dans les salles de rédaction et les postes de direction des grands médias, potentiellement affectant la représentation des voix diverses dans le paysage médiatique états-unien. Les propriétaires milliardaires de ces médias, souvent plus sensibles aux pressions politiques et économiques, pourraient être particulièrement enclins à suivre cette nouvelle direction, renforçant ainsi le statu quo et limitant les perspectives diverses dans la couverture médiatique.
Marie Albert souligne cependant qu’un nombre croissant de féministes et autres personnes engagées se mettent à signer des chroniques dans des médias indépendants, mais pas uniquement : de plus en plus de médias nationaux laissent une place de choix à ces chroniques et tribunes qui ont un format plus libre. Ces auteurs et autrices de chroniques, étant invité·es en qualité de personnalités publiques ou d’expert·es, peuvent imposer l’utilisation de la langue qui leur semble la plus juste. C’est bien là ce que ne peuvent pas faire les jeunes journalistes fraîchement arrivé·es à la rédaction.
L’Histoire et l’histoire de la règle
L’invention de l’écriture inclusive ne date pas d’hier, loin de là. En vérité, c’est plutôt l’invention de la fameuse règle “Le masculin l’emporte sur le féminin” qui est récente. Avant le 18ème siècle, les règles de proximité et de féminisation des noms de métier étaient de rigueur et on pouvait entendre “Les auteurs et les autrices sont talentueuses” sans que cela ne pose problème à personne. Du moins, ça ne dérangeait pas la majorité…certains grammairiens, pourtant, voyaient déjà dans cette égalité linguistique une menace à l’ordre établi. C’est sous l’influence de l’Académie française que la règle du masculin générique s’impose progressivement. Elle est justifiée par des arguments explicitement sexistes, comme ceux du grammairien Nicolas Beauzée qui affirmait en 1767 que « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. »
La masculinisation de notre langue n’a donc rien de naturel ou de hasardeux : il s’agit d’un choix politique conscient commandité par une élite masculine bourgeoise et sexiste. De plus, la langue a toujours été en constante évolution, et l’écriture inclusive n’est qu’une étape de plus dans ce processus.
RESSOURCES:
– Le compte Instagram @revolutioninclusive et leur site : Faites votre révolution inclusive avec notre collective ! afin de penser une communication inclusive.
– Les réseaux sociaux (linkedin et instagram) de @Rose K. Bideaux ses écrits dont sa thèse sur la couleur rose et ses effets sociaux.
– La vidéo Youtube “L’écriture inclusive a-t-elle un intérêt ? Quelles preuves ?” de Scilabus
– Le spectacle « La Pérille Mortelle » de Typhaine D : La Pérille Mortelle
– Le site web En inclusif : Comment écrit-on en inclusif déjà ?