LA PRISE EN CHARGE DES JEUNES EXILÉS EN FRANCE, UN LONG SURSIS AVEC MISE À L’ÉPREUVE

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Photo de Tome Louro
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La question de l’immigration déferle l’actualité depuis de nombreuses années. Elle est une thématique centrale des campagnes politiques qui ne cessent de la relier à la sécurité. Les hommes, les femmes et les enfants, quittant pour de multiples raisons leurs pays, n’aspirent pourtant qu’à de meilleures conditions de vie. Lorsqu’ils et elles arrivent en France, jeunes majeurs ou mineurs, un autre parcours tout aussi sinueux débute pour démontrer une intégration réussie. La jeunesse, ni ne passe ni ne se tasse, elle s’efface, ses traumatismes avec, dans la course vers l’autonomie.

Le 29 septembre 2024, par Josépha Le Sourd Le Clainche

Les mineurs non accompagnés (MNA) anciennement les mineurs isolés étrangers (MIE) sont des appellations usitées pour définir un mineur étranger, isolé et vulnérable. Par ces nominations, une séparation est nettement marquée, ils et elles sont « étrangers » avant d’être « des enfants en danger » comme le souligne la défenseure des droits dans son rapport « Les mineurs non accompagnés au regard du droit » publié en 2022 : « Une fois qu’ils sont confiés à l’ASE, et de fait juridiquement ou administrativement accompagnés, ils restent nommés « MNA », et non « enfants accueillis » ou « confiés à l’ASE » à l’instar des autres mineurs avec lesquels ils se trouvent. Ils sont alors la plupart du temps dissociés des statistiques de l’enfance en danger, et catégorisés « à part », renforçant à nouveau leur statut d’étranger, et ignorant tant leur admirable combativité, que leurs efforts pour s’intégrer.» Le spectre de la priorité nationale, décrié lors de la loi « Asile et Immigration » en janvier 2024, n’est jamais loin.

Prouver sa minorité

Lors de leur arrivée en France, les mineurs sont soumis à une évaluation administrative et sociale. Elle a pour objectif de recueillir le parcours des jeunes et leur histoire afin de statuer sur leur minorité. Lors de ces entretiens, une série de questions leur sont posées afin de déceler les mensonges supposés d’un âge « allégué ». Les termes « allégations », « discours stéréotypés », « incohérences » concluent de manière récurrente les évaluations. Les éléments factuels et objectifs tendent à être supplantés par une interprétation subjective basée sur des comparaisons parfois douteuses, elles-mêmes empreintes de stéréotypes. Dans son rapport, la défenseure des droits dénonce cette logique du soupçon et de la manipulation : « Bien loin de cet état du droit, l’institution constate que les mineurs non accompagnés sont trop souvent suspectés de fraude, perçus comme des étrangers en situation irrégulière, comme des majeurs, voire comme des délinquants, avant d’être considérés comme des enfants en danger. L’évaluation de leur minorité et de l’isolement est parfois entachée de ces représentations négatives.»

Les signes d’immaturité sont associés à une appréhension universelle – voire ethnocentrée – de l’adolescence. Or, les études anthropologiques soulignent la construction sociale qu’elle représente au-delà des changements physiologiques. Dans Une approche anthropologique de l’adolescence pour la revue Dialogue, Jean-Claude Quentel écrit : « L’adolescence a, certes, pour substrat physiologique la transformation pubertaire, mais elle suppose, d’un point de vue anthropologique, des processus spécifiquement humains qui relèvent de ce que l’on appelle le « culturel », en tant qu’il s’oppose précisément au registre des processus naturels, notamment biologiques . Toutefois, ces processus spécifiquement humains qui accompagnent la puberté ne se traduisent pas nécessairement sous la forme de l’adolescence. En effet, cet « âge de la vie » n’a pas de tout temps existé et n’existe toujours pas, aujourd’hui encore, dans quantité de pays à travers le monde. L’adolescence n’est donc pas universelle ; elle répond à une problématique d’abord sociale, même si, bien évidemment, elle met en jeu également des processus psychiques. Ce point ne saurait aujourd’hui être contesté. Aussi bien les historiens que les sociologues ou encore les ethnologues nous obligent à saisir la question sous cet angle, en soulignant le fait que l’apparition de l’adolescence est corrélative de transformations qui se sont déroulées dans une société donnée, à une époque donnée et dans une couche de population donnée. Elle répond à une « construction sociale ». »

Cette conception réductrice de l’adolescence s’applique sur le physique et la construction mentale des jeunes. La corpulence et l’apparence sont comparées, sans outil ni expertise reconnus, avec celles d’autres jeunes dont les traits correspondent approximativement. L’évaluation mentale de l’adolescence dépendra de la manière dont les jeunes racontent la quotidienneté dans leur pays d’origine, les raisons du départ, le parcours migratoire et les ressources mobilisées pour arriver jusqu’à cet entretien d’évaluation qui est un point de bascule pour la suite.

Prouver sa productivité

Lorsque la minorité est reconnue, les jeunes sont confiés à la protection de l’enfance. Ils sont officiellement des MNA (mineurs non accompagnés) et sont placés dans des hôtels, des foyers ou des dispositifs d’accompagnement spécifique. Si la minorité n’est pas actée, les jeunes peuvent faire des recours juridiques qui n’aboutissent pas toujours. Ils et elles sont alors dans des situations d’errance.

Jusqu’à leur dix-huit ans, les jeunes sont relativement en sécurité puisque la prise en charge par la protection de l’enfance est ordonnée. Ils seront néanmoins soumis à une évaluation permanente de leur capacité d’adaptation avec des objectifs à atteindre. Plusieurs semaines avant leur majorité, les jeunes peuvent faire une demande de contrat jeune majeur (CJM) soumis à l’appréciation du Président du Conseil Départemental dont les jeunes demandeurs dépendent. Ce dispositif permet d’étendre la prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance au-delà de la majorité du jeune jusqu’à ses vingt et un an maximum. Celui-ci n’est pas automatiquement accordé et sa demande est à renouveler en fonction de la durée, de trois mois à un an. Selon les départements, des différences sont notables dans sa mise en œuvre et les critères pour y accéder. Cette disparité est mise en évidence dès 2018 par l’Assemblée Nationale dans son rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de la loi visant à renforcer l’accompagnement des jeunes majeurs vulnérables vers l’autonomie : « Les départements conditionnent tout d’abord la signature des contrats jeunes majeurs au respect de différents critères, sans qu’il existe de définition précise de ces critères dans le code de l’action sociale et des familles. L’accompagnement des jeunes majeurs n’étant pas obligatoire, la mention à l’article L. 221-1 des « difficultés familiale, sociale et éducative » qui ouvrent droit au bénéfice d’un contrat jeune majeur reste relativement floue et laisse la place à des interprétations divergentes selon les départements. Il en résulte une grande hétérogénéité des politiques d’aide aux jeunes des conseils départementaux. » En amont, les jeunes doivent déposer une demande de titre de séjour dont la nature change en fonction de l’âge d’arrivée en France et la date de prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance. À nouveau, ce titre n’est pas automatiquement accordé.

Le CJM et l’officialisation d’un droit partiel à rester se basent sur une logique du mérite. Les preuves d’une utilité sociale et économique sont accumulées depuis leur arrivée sur le territoire pour espérer obtenir le droit à rester. Les dates fixées pour les demandes de renouvellement sont courtes. Les preuves d’une adhésion exemplaire doivent être versées au dossier sous peine d’être sous le joug d’une obligation de quitter le territoire.

Les aspirations individuelles sont passées sous silence afin de penser un projet d’avenir qui puisse être rapidement réalisable. De ce fait, l’accès à une scolarité adaptée et aux études supérieures est difficile. La majorité des jeunes sont orientés vers des formations professionnelles. Si aujourd’hui, la question du sens au travail investit les débats publics, ce n’est pas le cas pour les mineurs et les jeunes majeurs étrangers. Une étude récente menée par Isabelle Rigoni sur l’orientation scolaire des jeunes mineurs isolés constate les faits suivants : « Si l’offre de dispositifs s’est élargie et densifiée à mesure des arrivées de jeunes non accompagnés à scolariser, le manque de places disponibles dans les structures adaptées mais aussi en milieu ordinaire demeure une problématique récurrente qui conduit à des situations d’épuisement professionnel pour les équipes éducatives et pédagogiques ainsi qu’à des défauts d’orientation pour les jeunes qui sont parfois contraints d’occuper des places vacantes sans avoir toujours construit un projet de formation ou professionnel qui leur convienne. À cela s’ajoute un droit de regard préfectoral ciblé sur les DFSE et donc les MNA, qui a pour effet au moins indirect de contraindre les choix d’orientation en faveur des formations hautement rémunératrices sur le court terme en matière de débouchés professionnels, accentuant par défaut l’attractivité de filières en tension au détriment de l’agentivité des jeunes quant à leur devenir. » 

Les allocations restreintes qui leur sont allouées et le budget dépensé par l’état pour leur prise en charge doivent permettre un retour sur investissement. Ils et elles sont la main-d’oeuvre manquante des métiers en tension. Il leur est constamment rappelé qu’ils et elles sont étrangers. Productivité et autonomie vont de pair et s’inscrivent dans une temporalité millimétrée accentuant la pression qui pèse sur eux.

Prouver sa conformité

Si la souffrance psychique des jeunes exilés est connue de tous, celle-ci peine à être prise en considération dans son entièreté lors des prises en charge. Dans un rapport en date de 2023, Médecins du Monde souligne la vulnérabilité psychique des mineurs non accompagnés : « La santé mentale des MNA peut être particulièrement dégradée en raison de leurs parcours de vie souvent extrêmement éprouvants : événements traumatiques dans leurs pays d’origine, au cours du parcours migratoire et dans les pays de destination. Ils vivent dans un climat d’insécurité permanent. Ils doivent s’adapter à des contextes, des lieux de vie, des règles et des langues méconnus pour assurer leur survie. » Pour répondre aux objectifs fixés par l’institution dans leur projet d’accompagnement, les jeunes peuvent être amenés à délaisser les soins pour répondre aux exigences d’une insertion socioprofessionnelle réussie. Celle-ci est aisément quantifiable et mesurable pour évaluer la volonté de s’intégrer. La temporalité des soins est différente des délais institutionnels calculés selon la méthodologie de projet et les mesures politiques. L’insertion est une performance. Une prise en compte réelle de la souffrance psychique et physique est perçue comme un risque de rupture, non comme une nécessité.

L’épanouissement personnel est quasi nul et non avenu. L’identité se construit à la fois dans l’adhésion et l’opposition, ici, cette dernière est un interdit. L’injonction à abonner son soi et sa personnalité au profit d’une sur conformité aux cadres et aux attendus à des effets délétères sur les mineurs et jeunes majeurs étrangers. Selon Fiona Gallet et Amira Karray, « L’exil et ses ruptures affectent la construction identitaire des adolescents et la façon dont ils perçoivent leur place au monde. Les migrations renforcent le décalage du jeune avec la société en lui imposant de construire de nouveaux repères, d’emprunter des modèles de comportements ou de les créer. Pour faire face aux angoisses identitaires, les jeunes adoptent souvent des comportements et des discours apparemment hyperadaptés au pays d’accueil. Le risque est qu’ils les empruntent sans vraiment se les approprier et qu’ils se coupent d’eux même en fonctionnant sur le mode du faux-self. Il y a un risque de structuration psychique en surface, dans une logique de survie avec le sacrifice de soi et de son identité d’origine. Le risque est grand d’être confronté à une impasse, car la possibilité de continuer à se sentir sujet en maintenant son sentiment d’identité est mise à néant. » 

La conformité est temporaire. Elle est questionnée à travers les dates butoirs des renouvellements et la fin de prise en charge. La sortie ne signe pas la fin du sursis avec mise à l’épreuve comme en témoigne Kélé, vingt-cinq ans et dix années de présence sur le territoire, pour Streetpress. À la différence d’une peine de sursis classique, il semblerait que pour les étrangers en France, mineurs et majeurs, celle-ci n’est pas de fin. La mise à l’épreuve est à perpétuité.

Ressources : 

– Lors des quelques jours qui séparaient les deux scrutins des législatives 2024, Quoique a publié « Et si le « migrant », c’était vous ? » invitant chacun et chacune à se mettre à la place de cet « autre ». 

– Dans son article « Le contrat jeune majeur : la protection à l’épreuve de l’insertion« ,   pour la revue Vie Sociale (2011), Céline Jung étudie le Contrat Jeune Majeur en favorisant une approche de terrain. 

– Patricia Janody propose une approche intéressante autour du traumatisme dans « Trauma, discours, symptômes » (2015).

– Le Comède dresse un rapport alarmant sur la santé mentale des MNA (2021)  y compris pour celles et ceux dont les recours juridiques n’ont pas abouti. 

– Le Centre Primo Levi a publié en 2018 sa revue d’information n°73 sur Le psychotraumatisme chez les exilés : Blessure, corps et âme

– Pour la revue des politiques sociales et familiales, Cléo Marmié a publié un article « Minorité en errance. L’épreuve des mineurs non accompagnés » (2023).  

Le podcast « Paroles d’immigré.e.s » d’Ayoub Simour pour le Bondy Blog.