La journaliste et réalisatrice Marine Jacquemin publie en 2024 son premier ouvrage, Mes Guerres, aux éditions L’Observatoire, qui retrace sa carrière de reporter de guerre et son parcours de femme. Aujourd’hui pour Quoique, elle revient sur ce qui fait le sel de son métier.
Le 28 novembre 2025, par Eva Mordacq
Quand Marine Jacquemin écrit dans son livre « Je ne veux pas que la guerre se résume à des images de carnage », elle formule à ses lecteurs et lectrices un vœu, mais aussi une promesse. Femme d’action autant que de parole, la journaliste et autrice met en effet en application ce qu’elle a toujours prêché et s’assure de raconter la guerre par l’Humain, qui est toujours au cœur de ses reportages.
Bien qu’elle refuse l’étiquette de pionnière dans son rôle de grande reporter au féminin, rappelant que des femmes ont arpenté ces chemins avant elle, il reste difficile de ne pas souligner à quel point elle était seule à raconter le front à ses débuts. Alors même qu’elle est envoyée sur les terrains les plus dangereux du monde (Afghanistan, Somalie, Irak, Tchétchénie, Rwanda, Kosovo…), elle rappelle que « Au XXe siècle, les femmes ont toujours été présentes dans les conflits […] mais souvent invisibles et oubliées. » Cette rareté de la gent féminine dans ce corps de métier se fait bien ressentir pour Marine Jacquemin, qui doit essuyer les remarques et insinuations de certains confrères et consœurs. On l’accuse bien trop facilement d’avoir usé de sa séduction pour avoir des exclusivités. À ses débuts, elle se remet même en question et écrit s’être demandé si elle est « Trop jeune ou trop blonde parmi les cravates, les cigares et les mains baladeuses ».
La double peine
Dans son livre, elle appelle le fait de s’être retrouvée dans ce métier “un accident de parcours”. Questionnée sur cette tournure de phrase, elle explique : « Moi, dans la vie, je voulais faire des enfants, des gâteaux et de la confiture ! » Le sort en aura voulu autrement et avec du recul, elle s’en réjouit.
Tout ne sera cependant pas rose. La vie de la reporter de guerre sera malheureusement marquée par de nombreux drames. Professionnellement d’abord, elle verra tomber plusieurs collègues (certains sous ses yeux), emportés par la violence des conflits. Les épreuves intérieures, dans sa vie personnelle, ne l’épargneront pas non plus. Alors encore toute jeune, Marine Jacquemin découvre qu’elle souffre d’endométriose¹ et qu’elle ne pourra jamais porter d’enfant. C’est une peine qui se fait encore ressentir aujourd’hui, des décennies plus tard. De plus, au cours de ses voyages, elle est souvent amenée à croiser de nombreux jeunes en manque de parents ; comme Iqbal, qu’elle voudra adopter et dont elle devra aussi faire le deuil, après qu’une mine explose sous ses pieds. Elle doit également affronter un cancer du côlon, qu’elle parvient à vaincre. Elle raconte enfin le harcèlement moral subi à TF1, après des années de bons et loyaux services, où elle est poussée à bout par le comportement de ce supérieur, qui la forcera à quitter la première chaîne française. Autant d’obstacles qu’elle a dû surmonter et qui ont changé sa façon de vivre et d’exercer ce métier.
Le “contre-coût”
Écrire ce livre l’a confrontée à ses souvenirs les plus durs : revoir les visages, les larmes, la souffrance. Elle décrit cette période comme une forme de “crise post- partum”, avec des nuits sans sommeil, des vertiges, et un besoin urgent de temps pour se reconstruire. Pour elle, le retour dans ces archives, la revisite des drames humains, est un chemin difficile mais nécessaire. Elle montre une force immense à conjuguer l’expérience de reporter avec le poids émotionnel des histoires qu’elle a vécues et contées.
Aujourd’hui, Marine Jacquemin porte encore en elle cette impression d’un devoir envers ceux qu’elle a rencontrés, une dette humanitaire qui nourrit son engagement et son appel à ne pas oublier les conflits trop souvent éclipsés. Bien sûr, c’est loin d’être la première fois qu’elle est interpellée par l’horreur des situations vécues par les populations locales. C’est d’ailleurs pourquoi elle a eu une telle ferveur à collecter les fonds suffisants pour faire construire un hôpital, avec son association Hôpital Enfants Afghans, co-fondée avec l’humoriste Muriel Robin.
Un hôpital pour tous les enfants
La grande reporter dédie des années à la levée de fonds pour ce projet humanitaire hors-norme. Avec l’aide d’acteurs incontournables comme Martin Bouygues, l’association la Chaîne de l’espoir et la fondation Aga Khan, elle parvient à faire sortir de terre et à faire tourner un hôpital en plein Kaboul.
Bien que sur les 1 100 personnes qui y travaillaient, il n’en reste plus que 150, l’hôpital est toujours debout à l’heure où ces lignes sont écrites. Pour convaincre les terroristes de laisser ce lieu prospérer, Marine Jacquemin n’hésitera pas à monter dans une voiture les yeux bandés pour aller rencontrer les chefs talibans, sans aucune manière de s’assurer qu’elle ne finira pas en otage, ou pire. Une fois face à ces hommes, elle ne se démonte pas et leur explique que cet hôpital sera pour tous les enfants afghans, y compris les leurs. Les chiffres sont de son côté puisque là-bas, comme elle le souligne : « Un enfant sur quatre n’atteint pas l’âge de cinq ans. »
Dans son livre, elle qualifie cette épopée comme étant l’œuvre de sa vie et explique « Je trouve enfin du sens à ma vie de reporter, moi qui étais avant cela éternelle spectatrice de la guerre et du malheur. » Elle sera parvenue à refuser, une fois de plus, de faire partie de ceux qui regardent et laissent faire. Terminons donc ce portrait sur les mots de Mélanie Freynet, une enseignante de Cologne ayant persuadé l’autrice à prendre son clavier, et qui aura su résumer les valeurs de Marine Jacquemin en ces termes : « À mes yeux, vous avez toujours contribué à faire germer l’humanisme plus farouchement que d’autres cultivent la haine. »
¹ L’endométriose est une maladie touchant environ 1 femme sur 10, causant fréquemment des douleurs chroniques et pouvant engendrer une infertilité chez les femmes qui en souffrent.
Ressources :
– Le livre Mes Guerres de Marine Jacquemin, 2024, L’Observatoire.
– Le site de Marine Jacquemin avec les liens vers ses reportages
– L’interview filmée C à vous de Marine Jacquemin