La vasectomie, une méthode contraceptive permanente, émerge comme un aspect de la masculinité moderne, reflétant un changement progressif dans les perceptions et les pratiques entourant la contraception. Guillaume et Céline, en couple depuis une décennie, ont accepté de partager leur expérience de la vasectomie, une pratique en augmentation en France, même si l’information reste lacunaire et que des tabous persistent.
Le 04/05/24, par Esther Benezech
Il y a quelques années, l’idée d’une ligature des trompes a germé dans l’esprit de Céline. Lorsqu’elle en parle à une amie, celle-ci lui fait remarquer que cette option est violente et invasive, et l’invite plutôt à ce que son couple réfléchisse à une vasectomie, une alternative moins contraignante pour le corps. Céline, jusque-là peu informée de cette possibilité, fut immédiatement séduite par la proposition. De retour chez elle, elle aborde le sujet avec son conjoint Guillaume, mais de façon un peu abrupte, soulignant par-là son agacement quant au fait que ce sujet semble principalement relever de la responsabilité de la femme. La réaction un peu vive de Céline prend Guillaume au dépourvu, et il se montre alors peu enthousiaste à l’idée. « Je lui ai quand même dit de se renseigner, et puis nous avons mis le sujet de côté.»
À cette époque, en France, la vasectomie est un sujet peu discuté, alors Guillaume se tourne vers des articles canadiens pour comprendre en quoi elle consiste. « Nous n’avons plus reparlé de cela pendant un certain temps, jusqu’à il y a environ un an, lorsque Guillaume, de sa propre initiative, m’informe de sa décision d’opter pour une vasectomie. Je n’avais pas insisté pour qu’il la fasse, mais c’est finalement lui qui est revenu sur le sujet.» Notre projet était d’avoir un enfant, puis d’envisager la vasectomie. « Avec le recul, je considérais cela comme tout à fait normal. La femme est la plupart du temps celle qui prend le moyen de contraception avant qu’il y ait des enfants. Alors ensuite, c’était logique que ce soit moi. D’autant plus que Céline porterait notre enfant pendant neuf mois et accoucherait » raconte Guillaume. Céline et lui utilisaient exclusivement le préservatif. La vasectomie devenait alors une source de tranquillité d’esprit. « Quand j’ai pris la décision, je n’ai pas ressenti le moindre doute. Auparavant, je me posais des questions sur les possibles changements dans nos rapports ou sur l’éjaculation. Nous avons alors regardé de nombreux témoignages pour être rassurés. Mais nous avons été confortés dans notre décision en constatant qu’il y a peu, voire pas du tout, d’effets secondaires, et que l’intervention se déroule en ambulatoire. Dans mon entourage, certains ont exprimé des inquiétudes au cas où Céline et moi nous nous séparerions. Pourtant, quelle que soit l’issue, je ne désire pas d’autres enfants, et je ne veux pas devenir père après 40 ans.»
En pratique
Deux consultations préliminaires ont lieu. Le patient rencontre un urologue pour discuter de la procédure, évaluer son admissibilité et répondre aux différentes questions. Cette consultation permet également de s’assurer que le patient comprend bien les implications de la vasectomie en tant que méthode contraceptive permanente. Une deuxième consultation en visio a lieu après 4 mois de réflexion. Ensuite, l’intervention est planifiée. « L’opération se déroule en ambulatoire. Je suis arrivée à 9h45 et je suis reparti à 12h30. L’intervention dure 10-15 minutes. le plus long étant l’attente » relate Guillaume. Une anesthésie locale est administrée avant de réaliser une légère intervention pour bloquer les canaux déférents, ces voies par lesquelles les spermatozoïdes voyagent des testicules à l’urètre. « Ce n’est pas douloureux, il y a une gêne. La douleur peut être plus psychologique. Un détartrage fait davantage mal ! » assure Guillaume. Autorisé à rentrer chez lui le jour-même, il lui est recommandé d’éviter les activités physiques pendant quelques jours. Trois mois après la vasectomie, un spermogramme est réalisé pour confirmer le succès de l’intervention. « J’étais stressée jusqu’au spermogramme. Il était à zéro, mais j’ai mis du temps à être rassurée » raconte Céline. « Quand j’ai eu les résultats, Céline m’a félicité. C’était marrant » ajoute Guillaume.
Vers la masculinité moderne
Selon le rapport du Groupement d’intérêt scientifique EPI-PHARE, « Au total, 109 544 vasectomies et 398 080 stérilisations féminines ont été réalisées entre 2010 et 2022 chez des personnes âgées de 18 à 70 ans et résidant en France. Pour la première fois dans notre pays, il y a eu davantage de stérilisations masculines que de stérilisations féminines en 2021 et en 2022. Le nombre de vasectomies a augmenté chaque année depuis 2010, passant de 1 940 vasectomies en 2010 à 30 288 en 2022, soit une multiplication par quinze.»
Malgré cette augmentation, « le chirurgien en faisait une vingtaine la matinée » souligne Guillaume, l’information reste encore peu accessible, note-t-il. Pour lui et Céline il reste un important travail d’éducation et d’information à mettre en place. « Les professionnels de santé devraient aborder le sujet plus ouvertement, des actions de santé publique pourraient être entreprises, et peut-être même sensibiliser les étudiants. Il est également essentiel d’expliquer aux personnes que la vasectomie est remboursée. Il manque quelque chose pour qu’aujourd’hui ce soit suffisamment répandu. Les médias l’abordent davantage, mais ce n’est pas encore suffisant. Peut-être que les séries, les films, les livres pourraient en parler, histoire de faire évoluer les mentalités.»
Après avoir franchi le pas, Guillaume ressent le désir de partager son expérience à ses amis, mais son entourage ne fut pas particulièrement réceptif. « J’étais content de l’avoir fait. J’avais envie d’en parler et je trouvais dommage que les autres ne semblaient pas intéressés. Un copain m’a posé pas mal de questions sur le ton de la blague. Et d’autres se sont contentés de dire : ah, c’est fait ! et voilà. Tout le monde ne connait pas forcément. Certains ont encore leurs préjugés, leurs peurs, notamment en raison de l’aspect irréversible. Perdre sa virilité et le côté définitif sont les deux arguments qui dissuadent » pense Guillaume.
Il admet avoir eu du mal à aborder le sujet avec sa mère, ainsi que sur son lieu de travail, composé majoritairement d’hommes. « Il est plus facile de dire entre hommes : ma femme prend la pilule, que d’annoncer avoir eu recours à une vasectomie. Au travail je n’en ai pas parlé. J’ai simplement pris un jour de congé, sans donner de détails. Habituellement, j’aurais mentionné la raison mais cette fois-ci je me suis abstenu. Peut-être aurais-je pu le partager avec une collègue féminine, mais pas avec un homme. Pourtant, je me rends compte que j’aurais pu rencontrer quelqu’un qui aurait aussi fait cette démarche ou qui aurait été ouvert à la discussion.»
Le tabou persiste
« Guillaume n’est pas macho mais sa première réaction était tout de même particulière. Il y a quand même quelque chose d’établi » souligne Céline. Le coté définitif lui a paru bizarre au début. « Faut être sur », dit-il. Un copain a réagi en me disant que si Céline meurt, et si… Si jamais, je ne pourrais plus avoir d’enfants.»
Guillaume reconnait également que la crainte du regard des autres peut être un frein : « Personne ne m’a jugé lorsque j’ai annoncé mon intention de le faire. Par contre si nous sommes entourés de gens qui portent des jugements, cela peut influencer nos choix.» Il estime aussi que dans certains cas, il n’est pas nécessaire d’en parler. « Je n’ai pas évoqué le sujet avec ma mère. Elle était au courant que j’avais un rendez-vous, mais sans connaitre sa nature exacte. Sans jamais prononcer le mot, elle m’a simplement mis en garde contre toute décision irréversible. J’ai préféré éviter d’engager cette discussion avec elle pour prévenir tout conflit ou débat sans fin. Je me dis que sa génération n’est sans doute pas celle qui provoquera le changement. Nous avons plus de travail à faire pour convaincre les générations d’après, que de batailler avec la génération de nos parents qui, pour certains, ne comprendront pas. Nous aimons beaucoup discuter, donc on ne laisse pas les choses sous silence, mais il faut faire la part des choses. Avec certaines personnes, mieux vaut éviter le conflit inutile. Pour les nouvelles générations, il est important d’en parler ouvertement.»
Céline a du mal à comprendre que des personnes rattachent la vasectomie à la virilité. Pour Guillaume, cette perception peut s’expliquer par tous les symboles de virilité associés à l’appareil reproducteur. Depuis l’intervention, ils ont été confrontés à des blagues du style : « tu es en mode fille maintenant.» Pour lui, les personnes qui ramènent cela à la virilité doivent effectivement avoir du mal à comprendre. Céline rejette l’argument « je ne vais plus être un homme ». Elle estime que cela sous-entend que la femme doive systématiquement prendre en charge la contraception. Elle comprend que la vasectomie ne soit pas envisagée lorsque le désir d’enfants n’est pas assouvi. Le rapport EPI-PHARE souligne que « le regret post-vasectomie serait estimé entre environ 6% à 7,4% des hommes notamment chez ceux qui n’avaient pas d’enfants avant la stérilisation. » « Le problème réside dans le manque d’options de contraceptions pour les hommes. Le frère d’une amie a choisi la vasectomie à 27 ans, sans avoir d’enfants et en étant sur de son choix. C’est risqué, car il n’est pas à l’abri de changer d’avis et il sera trop tard » explique-t-elle. Guillaume souligne qu’il est possible de congeler son sperme. Cette option est peu évoquée, mais elle pourrait selon lui constituer une solution intermédiaire. « Ça coute 40 euros par an pour conserver le sperme. ». Sans motif médical, il est possible d’y avoir recours jusqu’à 45 ans. La vasovasostomie est une autre option lorsque l’homme regrette sa vasectomie. Il s’agit de renverser l’effet de la vasectomie afin de pouvoir concevoir de nouveau. Cependant, la Revue Médicale Suisse indique que la vasovasostomie « offre un taux de grossesses cumulé de 28-40%, dépendant de facteurs pré-, intra- et post opératoires. L’âge de la conjointe et le temps séparant la vasectomie de la VV sont les facteurs les plus importants. »
Céline reconnait parfois ressentir de l’agacement sur ce sujet, « les hommes doivent assumer leurs responsabilités et les femmes se dire que ce n’est pas uniquement à elles de prendre en charge la contraception. Nous avons des amis dont la femme envisage une ligature des trompes. Elle est très peu informée, et pour elle, cela semble normal, ils ne se sont même pas posés la question de la vasectomie. On avance mais doucement. Certaines copines me disent qu’elles n’en discutent même pas. Alors, moi, je continue à en parler. Nous avons découvert la vasectomie grâce à une amie, et maintenant, je fais comme elle. J’en parle autour de nous » explique Céline. » Pour elle, l’augmentation des chiffres est encourageante, mais elle se demande si cette évolution est due au fait que les hommes parviennent à cette conclusion par eux-mêmes, ou si la charge incombe à la femme, qui les incite à agir ainsi.
Pour eux, comme le souligne Guillaume, « la vasectomie n’a rien changé dans notre relation, si ce n’est que Céline est fière. » Céline ajoute « Quand on ne souhaite plus d’enfants, c’est la solution idéale je pense. Si j’étais un homme, cela me stresserait de me dire que j’ai peut-être des enfants un peu partout.»