ZONES « NO KIDS » : LES ENFANTS, NOUVEAUX « INDÉSIRABLES », TÉMOIGNENT

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Les zones « no kids » aussi appelées « adult only », des espaces où les enfants ne sont pas les bienvenus, s’imposent de plus en plus dans les lieux du quotidien – restaurants, hôtels, campings – ainsi que dans la manière de concevoir nos moments de repos. Présentés comme la promesse d’un havre de tranquillité exclusivement dédiés au confort des adultes, ces espaces soulèvent de profondes interrogations : la présence de tensions sociales autour de la place de l’enfant dans l’espace public et une certaine dissonance dans la transmission de valeurs communes faisant société. Quoique a choisi de donner la parole aux enfants, premiers concernés par cette séparation entre les adultes et les plus jeunes.

Le 12 octobre 2025, par Josépha Le Sourd Le Clainche

Ce concept de lieux interdits aux enfants est né en Corée du Sud. Il connaît un succès grandissant en Europe et principalement, en Espagne et en France. L’enquête d’Odexa pour Lou Média publiée le 1er mai 2025 révèle que 54 % des français interrogés sont favorables au développement de ces lieux réservés aux adultes tandis que 45 % s’y opposent. Une large majorité des personnes interrogées, c’est-à-dire 76 %, se montre agacée par les comportements « agités » des enfants dans l’espace public ou privé.

L’argument marketing des zones « no kids » fait mouche : vendre un moment privilégié aux adultes où leur quiétude ne sera pas perturbée par les enfants aux comportements imprévisibles et les nuisances associées. En témoigne la chaîne hôtelière AdultsOnly qui ne cesse d’attirer de nouveaux clients en quête de ces « bulles paradisiaques ». L’enfant est ainsi réduit à un élément intrusif, négatif et capricieux faisant nécessairement obstacle à la sérénité des adultes. Ces endroits se proposent comme une échappatoire libérée de la présence – perçue comme contraignante – des plus petits.

Labels en guerre, enfants en jeu

Sarah El Haïry, Haute-commissaire à l’enfance en France, s’est inquiétée de cette tendance. En réponse, elle a annoncé la création d’un label « le choix des familles » . En Belgique, le label « Kids friendly » est mis en place depuis plusieurs mois.

Pour rappel, un label est une distinction officielle attestant qu’un produit, un service ou une entreprise respecte un ensemble de règles et de critères de qualité définis par un organisme indépendant, public ou privé. Cette reconnaissance garantit aux consommateurs la fiabilité du produit généralement identifiable par les logos posés fièrement sur les vitrines ou à l’entrée des bâtiments.

La labellisation de ces zones réduit la présence ou l’absence d’enfants dans l’espace public à un clivage binaire : pour ou contre. Loin de se préoccuper des enjeux sociaux sous-jacents, ces distinctions participent à une marchandisation double : celle de l’espace, désormais un argument marketing destiné à séduire une clientèle ciblée, et celle de l’enfant, réduit à une catégorie de consommateurs, voire un critère d’exclusion. Les valeurs qui nourrissent traditionnellement la vie collective – telles que la tolérance, l’éducation ou encore le partage – sont récupérées par le commerce afin de les convertir en avantages concurrentiels et en signe de distinction.

Ces espaces spécifiques opèrent un glissement sémantique où l’enfant, être singulier à part entière, est assimilé à un intrus. L’utilisation de termes péjoratifs conduit à une généralisation des comportements attribués aux enfants dans l’espace public, ils sont systématiquement bruyants, agités, donc dérangeants. L’enfant est propulsé au cœur de stratégies commerciales qui s’emparent de cet espace commun, le norme et le segmente. Les missions de guidance que les adultes assurent habituellement envers lui sont mises à distance.

Les enfants nous partagent leur avis

Lorsque Maxime, 7 ans, apprend l’existence de ces espaces interdits aux enfants, sa réaction est sans appel : « Non, je refuse, les enfants, c’est meilleur que les adultes parce qu’on est plus petits, parce que les vieux pépés ne veulent plus jouer avec les enfants. Il faut accepter les enfants parce que sinon c’est de la triche ! Les enfants ont le droit d’aller partout comme les adultes. Si on fait trop de bruit, c’est pas du tout vrai, c’est qu’on est heureux de jouer ». Il ajoute qu’il organisera une manifestation avec d’autres enfants contre ces endroits. Incarnant une forme de rébellion innocente mais ferme face à ces restrictions, il revendique une égalité avec les adultes dans l’occupation de l’espace public ainsi qu’une expression libre par le jeu. D’une part, ses propos montrent un sentiment d’injustice qui découle de cette séparation entre petits et grands, d’autre part, il verbalise un refus implicite vis-à-vis de ce qu’elle représente.

Gabriel, 8 ans, montre une compréhension et une position plus nuancée : « C’est normal parce qu’il y a des adultes qui veulent être seuls et tranquilles des fois. Je comprends qu’ils veulent être sans enfants ». Il a conscience de la volonté des adultes dans leur recherche de tranquillité, néanmoins, c’est une acceptation tacite d’une certaine forme d’exclusion.

Les mots de Diane et Anton, respectivement âgés de 4 ans et de 6 ans, mettent en lumière la dimension affective et relationnelle de cette ségrégation spatiale. Pour Diane, il est naturel que l’enfant puisse « accompagner dans les parcs, les restaurants, partout ». Quant à Anton, 6 ans, il exprime la tristesse que ces zones réservées peuvent engendrer : « si on n’accueille pas les enfants, ils vont être tristes et s’ils sont tristes, il faut les consoler. Ce n’est pas gentil de dire ça « tu ne vas pas au camping-car avec moi parce que tu vas faire trop de bruit ». Je comprends que les adultes veulent être seuls mais ils doivent quand même accepter ». Ces derniers mots, à hauteur d’enfant, viennent questionner notre capacité en tant qu’adultes à trouver l’équilibre entre le confort et l’accueil des enfants sans que ce dilemme repose lourdement sur les plus jeunes.

Manon 9 ans exprime une incompréhension claire : « Si des personnes travaillent avec des enfants, alors pourquoi, ils veulent des espaces qu’avec des adultes ? C’est bizarre ». Ces espaces semblent contradictoires avec la place qu’occupent les enfants dans d’autres sphères.

Joséphine, également 9 ans, souligne une tension entre le besoin de tranquillité des adultes et le droit des familles à partager certains espaces. « Je suis d’accord et en même temps pas d’accord. Alors, déjà je suis d’accord parce que c’est pas mal pour les adultes d’avoir un endroit rien qu’à eux, mais je ne suis pas d’accord parce que si par exemple, il y a des adultes qui ont des enfants, qui sont allés à un endroit que pour les adultes et qu’ils veulent emmener leurs enfants, ils ne peuvent pas ».

Pour Raphaëlle et Sol, 9 ans, si elles reconnaissent que parfois, les enfants sont bruyants tout en insistant sur le « besoin de se défouler », elles se rejoignent sur l’idée d’un compromis. Pour Raphaëlle, « installer, 2 ou 3 espaces sans enfant par ville, d’accord, mais il ne faut pas que ce soit partout. Imaginons que cela se passe un jour, les enfants n’iront jamais à certains endroits, ils seront que dans leur maison. C’est un peu injuste ». Quant à Sol, celle-ci soutient l’idée de ces endroits dédiés aux adultes, néanmoins, elle plaide pour une certaine souplesse : « ils ont le droit d’avoir des espaces réservés mais si par exemple, dans une ville, il y a qu’un cinéma et que les enfants n’ont pas le droit d’y aller parce que ce n’est réservé qu’aux parents, c’est un peu nul. Il vaut mieux qu’une séance soit réservée par exemple ».

Ces témoignages indiquent une compréhension spontanée des enjeux et des tensions que suscitent ces espaces réservés. Ils soulignent les problématiques politiques, sociales et éthiques que pose la création de telles zones. Les impératifs fondamentaux de socialisation et de citoyenneté, qui façonnent chaque génération se heurtent à cette logique d’un confort exclusivement réservé aux adultes. Intégrer le point de vue des enfants dans les prises de décisions collectives n’est pas seulement un droit, reconnu par l’article 12 de la Convention internationale des droits de l’enfant, mais également une nécessité pour concevoir des espaces publics adaptés à leurs besoins et favorisant leur inclusion.

Une transmission de valeurs communes fragilisée par l’exclusion

La conception et la mise en place d’espaces dédiés aux adultes ainsi que la logique marketing sur laquelle ils s’appuient questionnent quant à la rupture dans la transmission des valeurs fondamentales qui font société. L’exclusion des enfants de lieux communément partagés bouleverse les principes d’inclusion et de solidarité intergénérationnelle, éléments primordiaux du processus de socialisation qui s’opère dans la diversité.

Alors que le concept de « génération future » et ce qu’il implique en matière d’enjeux est au cœur des problématiques actuelles dans la manière de penser un avenir commun, les zones « no kids » réduisent la présence des plus jeunes à un enjeu d’acceptabilité commerciale. Pourtant, leur présence dans les espaces publics est un réel vecteur de lien et d’apprentissage des valeurs collectives – telles que le respect, le partage et la tolérance – qui ne peuvent se concevoir sans eux.

Les risques de dérive liés à la création d’endroits spécifiques – dont l’interdiction à certains profils est clairement et publiquement affichée – sont nombreux. L’histoire l’a montré et pourtant, elle tend à se répéter. 

Ressources : 

La chercheuse et pédopsychiatre Laelia Benoit a étudié l’infantisme, une discrimination systématique et collective envers les enfants, un concept initialement théorisé par la philosophe américaine Elisabeth Young Bruel dans son ouvrage Childism : confronting prejudice against children (2013).

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