Le 03/06/2024 par Esther Benezech et Josépha Le Sourd Le Clainche
À l’approche des élections européennes qui se dérouleront le 9 juin prochain, Quoique s’interroge sur la disparition de la nuance et de l’essence même du débat au sein de la sphère politique. Selon l’Académie Française, le débat est une discussion publique, dirigée et organisée autour d’un thème. Ces échanges peuvent être agités, engagés, passionnés mais ont pour objectif commun de nous élever dans notre réflexion. Parfois convaincu.e.s, les argumentaires peuvent nous amener à relativiser nos certitudes. Débattre est une émulsion mais il y a un couac semble t-il car aujourd’hui, celle-ci a disparu. Les candidat.e.s tentent d’affirmer leur opposition les un.e.s aux autres de manière abusive et se pointent mutuellement du doigt. Certain.e.s s’offusquent que des vérités soient dites, d’autres n’hésitent pas à utiliser l’insulte ou la vie privée pour contrer. Une surenchère d’informations plus ou moins vérifiées s’opère. Au final, les prétendant.e.s se touchent et finissent par se rejoindre. C’est un cercle vicieux, un entre-soi politique qui laisse peu de place à l’expression de celles et ceux qui n’ont pas le costume.
Dans une société du risque où le principe de précaution à outrance est une devise, l’abstention s’affiche en rouge sur le tableau de bord. Elle apparaît comme une option alors que nous connaissons le combat de celles et ceux qui ont obtenu le droit de vote. Comment ne pas se laisser convaincre par cette absence dans les bureaux de vote ? Le vote blanc, cette décision délibérée de ne pas choisir, n’est pas comptabilisé. L’abstention fait mouche et déferle dans les gros titres. Quant à ses raisons profondes, il n’y a pas assez de place sur les bandeaux d’information, le nombre de signes étant limité.
Quelle fut notre consternation, lors des derniers débats, d’assister à un tel chaos. Que diraient les humanistes du passé, dont l’on se targue d’être des héritier.e.s, de cette mascarade ? Nous ne cherchons pas à être divertis. Nous demandons de la substance, de la consistance et du respect : respect du candidat.e envers elle.lui-même, envers ses adversaires et envers la population.
Racolage politique et populiste à coup de punchlines calculées, les mots ont perdu leurs sens. Les discours et les propositions empruntent des logiques similaires aux algorithmes des réseaux sociaux. À coup de publicités ciblées et « qui sans esprit critique utilisent le clic-clic », l’objectif n’est pas d’échanger mais de générer du lead. Peu importe les statistiques biaisées qu’ils et elles mentionnent, peu importe les personnes qu’ils et elles stigmatisent, peu importe le fond et la qualité, pourvu que la forme et la quantité soient excessivement présentes. Les candidat.e.s n’exposent plus mais s’exposent. Leurs traits de personnalités sont des arguments politiques où les égos s’imposent, sans nous écouter ni nous entendre. L’image domine, la conscience recule. La politique s’acoquine avec le marketing. Loin d’être subtil, ce partenariat semble peu fructueux sur le long terme tant le vide le caractérise. Les problématiques auxquelles nous sommes tous et toutes confronté.e.s ne peuvent pas être contenues dans des tweets, des réels ou des hashtags. Les réponses ne peuvent pas être aussi simples que des « j’aime » ou des pouces levés.
Sorties sensationnalistes, mots polémiques, dérapages contrôlés, économie et pénurie d’information, serions-nous face à la recette du référencement d’un algorithme politique ?
Les enjeux présents et ceux qui se profilent ne peuvent se résumer dans un manuel de bonnes pratiques. En live, les candidat.e.s n’incarnent ni leurs idées ni leurs théories argumentées.
Les sondages excitent, rendent fébriles aussi. Scruter les courbes, les pourcentages, essayer d’anticiper, de prédire. Mais qu’en est-il de la réalité ? Celle qui se vit, celle qui ne se calcule pas en taux de popularité ou en intentions de vote. Il ne s’agit pas de dire à la population : « j’ai croisé quelqu’un ce matin qui m’a dit que ». Les enjeux politiques ne sont pas des matchs sportifs. Ils sont des choix de société qui engagent notre futur collectif. Les citoyen.ne.s ne sont pas des chevaux sur lesquels parier en fonction de leurs cotes, ils et elles sont l’avenir. Les jeunes générations alertent sur leurs maux et leurs angoisses face à un futur incertain, peu de crédit leur est accordé, sauf pour payer la dette. Les moins jeunes interpellent sur leurs conditions de vie, sur la réalité de leur quotidien, sont-ils.elles entendu.e.s ? Toutes ces personnes ne sont-elles pas les témoins à même de donner des données qualitatives pour nourrir la réflexion ? Ne sont-elles pas les tiktoks les plus authentiques qui pourraient être produits ?
Un nombre infini de témoignages, de pétitions, de supports, de comités, de cahiers, de tribunes, de lieux où rencontrer des citoyen.ne.s sont disponibles tous les jours pour se faire une idée de fond plutôt que de le toucher. N’est-il pas venu le temps d’arrêter de rafistoler les vitrines comme une page d’accueil ? Le nombre de vues n’améliorera pas le contenu.
En tant que médias, petits et grands, indépendants ou non, nous avons notre part de responsabilité. Le serpent se mord la queue. Le show est accueilli dans les colonnes, sur les plateaux, à nos micros par tous les acteur.rices de cette médiocre équation. Arrêtons de scruter pour investir la qualité du scrutin.
Quel exemple le débat politique actuel transmet-il ? Il révèle que notre instinct animal et notre cerveau limbique prennent le pas sur la raison. Le.la politicien.ne ne devrait-il.elle pas impulser une vision, incarner un idéal, facilitant un vivre ensemble et offrant une meilleure assise pour chacun ? Il ne s’agit pas d’un idéal fondé sur le rejet de la différence ou sur des interprétations erronées afin d’obtenir des voix, mais bien d’un idéal collectif basé sur un principe réaliste et humain. Nous aspirons à des débats où la raison et l’argumentation prennent le dessus, où les idées peuvent être confrontées dans un cadre respectueux et constructif, sans invectives. Un débat où l’écoute n’est pas une option, mais une obligation.
Merci