SOUMISSION CHIMIQUE : LE TÉMOIGNAGE DE LÉA

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La soumission chimique marque durablement les victimes, qui, par un réflexe de protection mentale, mettent parfois des années à reconnaître ce qu’elles ont subi. À travers le témoignage de Léa, cet article explore le processus insidieux de la manipulation, les mécanismes de refoulement et la difficulté d’obtenir justice face à ces crimes silencieux.

Le 28 février 2025 , par Esther Benezech

C’est en mars 2010 que je fis la connaissance de Luc. Dès notre première rencontre, un sentiment étrange m’envahit : une impression diffuse qu’il cachait quelque chose. Son attitude réservée, son regard fuyant et surtout cette casquette qu’il ne quittait jamais, comme pour masquer sa calvitie, me laissèrent perplexe. Pourtant, je balayai ces doutes, les attribuant à une simple coquetterie masculine.

J’avais alors 32 ans, lui affirmait en avoir 36. Je découvris, deux mois plus tard, qu’il en avait en réalité 40. Une petite dissimulation que je lui pardonnai, convaincue qu’il assumait mal son âge. Avec le recul, des petits mensonges auraient dû m’alerter bien davantage. Mais à l’époque, je préférais me dire que personne n’est parfait.

Notre relation débuta à distance, car nous n’habitions pas la même ville. Nos rencontres étaient rares, mais agréables. Les premiers temps, nous nous contentions de moments partagés sans proximité physique. Puis vint le premier baiser. Rien de plus.

Un comportement inquiétant

Un jour, je me rendis chez lui, à la campagne. Nous passâmes la journée ensemble, et, bien que je ne me sentisse pas prête à aller plus loin, il tenta une approche sans insistance. Il me raccompagna ensuite à la gare. Alors que je venais à peine de descendre de la voiture, il redémarra brutalement, frôlant presque ma silhouette. Je trouvai ce comportement étrange, mais encore une fois, je n’en fis pas grand cas.

Quelques semaines plus tard, je retournai chez lui. Après un dîner au restaurant, nous rentrâmes à son domicile, où il me servit un grand verre d’eau. Je fus surprise par cette attention, que je pris pour une marque de galanterie. Il insista pour que je le boive. Peu après, je me retrouvai dans son lit, envahie d’un bien-être inhabituel, une sérénité qui ne me ressemblait pas. Nous eûmes un rapport, auquel j’étais prête, mais cette sensation de relâchement m’intrigua.

Puis vint la nuit. Je me réveillai brutalement, prise de violentes nausées. Je courus aux toilettes, où je passai plus d’une heure à vomir, en proie également à une terrible diarrhée. Épuisée, je m’effondrai sur le sol, incapable de bouger. Luc, lui, ne bougea pas d’un pouce. Pas un mot, pas un geste. Au matin, lorsqu’il se leva et que je lui racontai ma nuit d’agonie, il ne manifesta aucune empathie. Il me reconduisit à la gare comme si de rien n’était. Sur le quai, je me sentais assommée, vidée d’une énergie que je ne comprenais pas. Je mis cette mésaventure sur le compte d’une intoxication alimentaire, et continuai ma route.

Le doute persistant et la révélation

Les semaines et les mois passèrent, et notre relation s’effilocha, jusqu’à sa fin. Pourtant, un sentiment diffus me hantait. Quelque chose, cette nuit-là, ne m’avait pas semblé normal. Mais faute de certitude, je mis ces pensées de côté.

En 2011, je reçus un mail de Stéphanie, une inconnue qui se présenta comme la compagne de Luc. Elle s’excusa de me contacter, me confia qu’elle ne se sentait pas bien dans leur relation et souhaitait recueillir mon témoignage. Elle ajouta qu’elle avait contracté une maladie sexuellement transmissible. Nos échanges restèrent brefs. Je l’encourageai à écouter son ressenti, sans en dire davantage. Puis le temps passa, emportant avec lui ces souvenirs.

Les années s’écoulèrent avec ce doute latent en arrière-plan. Jusqu’au jour où éclata l’affaire des viols de Mazan et que des femmes commencèrent à témoigner de leur expérience de soumission chimique. Dans mon entourage, une amie me confia qu’elle en avait été victime. Ses paroles firent écho en moi. Je repensai à cette soirée chez Luc. Le souvenir surgit, puis s’évapora. Mon esprit n’était pas prêt à affronter cette réalité.

Pendant des mois, cette pensée revint par vagues. À chaque fois, je songeai à recontacter Stéphanie, puis j’enfouissais l’idée. Jusqu’à ce qu’un jour, sans doute le bon moment, je me décide enfin à lui écrire. Quatorze ans après notre premier échange, je lui envoyai un mail lui annonçant que j’avais quelque chose d’important à lui partager. Intriguée, sa réponse ne se fit pas attendre. Nous nous appelâmes le lendemain. Lorsque je lui racontai ce que j’avais vécu, ma conviction d’avoir été droguée, elle eut un silence avant de me dire : « ça vient confirmer ce que j’ai vécu. » Elle pense avoir subi la même situation, à la fin de leur relation. Trois ans d’un lien toxique, où Luc exploitait ses failles pour mieux la rabaisser. Un week-end particulier lui revint en mémoire. Elle ne souhaitait pas avoir de rapports, et pourtant cela arriva bel et bien. Plus tard, elle se retrouva, allongée sur le sol de la salle de bain, tremblante et nauséeuse. Elle est persuadée d’avoir été droguée, bien qu’elle n’ait jamais pu en apporter la preuve. Ce doute l’a conduite à remettre en question ses propres perceptions et à relativiser son ressenti. Peu à peu, elle s’est convaincue que le problème venait d’elle, d’une mauvaise interprétation. Dès lors, elle a relégué son vécu au second plan, choisissant de se taire.

Nos témoignages se rejoignaient. Nos souvenirs, séparés dans le temps, s’imbriquaient comme les pièces d’un même puzzle. Stéphanie ajouta que Luc transportait avec lui une plaquette de Zolpidem, un médicament utilisé pour traiter l’insomnie mais connu pour ses effets sédatifs puissants. Ce produit est d’ailleurs désigné également sous le nom de « la drogue du violeur ». Lorsqu’elle l’avait interrogé à ce sujet, il avait prétexté s’en servir pour dormir.

La soumission chimique : un piège insidieux

Nos récits respectifs révélaient chacun à leur manière, une expérience d’abord difficile à admettre pour soi-même. Pourquoi refoulons-nous tant ces expériences traumatisantes ? La psyché humaine est programmée pour se protéger. Lorsqu’un événement est trop douloureux ou incompréhensible, notre cerveau met en place des mécanismes de défense : minimisation, rationalisation, oubli sélectif. Accepter que l’on ait pu être manipulé ou soumis contre son gré représente un choc identitaire. C’est un bouleversement de la perception de soi, du monde et des autres. L’idée que quelqu’un ait pu intentionnellement nous priver de notre libre arbitre est si insupportable que nous préférons inconsciemment l’enfouir. Ce n’est que lorsque des éléments extérieurs, comme un témoignage similaire ou une médiatisation du phénomène, viennent réveiller nos souvenirs que nous pouvons commencer à envisager la vérité.

Que faire face à l’impunité ?

Nous ne saurons jamais la vérité avec certitude. Mais nous sommes persuadées qu’il a altéré notre discernement par la soumission chimique. Malheureusement, après tant d’années, toute démarche judiciaire se heurterait à la prescription. Que faire alors ? À ce jour, nous n’avons encore rien entrepris. Mais nous réfléchissons à déposer une plainte, même si elle devait être classée sans suite. Peut-être permettra-t-elle de recueillir d’autres témoignages, et, nous l’espérons, d’empêcher que d’autres femmes ne subissent le même sort.

Ressources : 

– Maxime Samaille a rédigé une thèse sur la soumission chimique, étant des lieux, mutations, prévention et perspectives : La soumission chimique, état des lieux, mutations, prévention et perspectives – DUMAS – Dépôt Universitaire de Mémoires Après Soutenance

– Dorothée Charré a rédigé en 2014 une thèse sur la soumission chimique. Aspects juridiques, médico-légaux et psychologiques d’un comportement mal connu : La soumission chimique : aspects juridiques, médic… Catalogue en ligne

– Ce site informatif définit la soumission chimique et ses conséquences : En savoir plus sur la soumission chimique – Santé

– Victimes de soumission chimique: agir sans délai et sortir de l’isolement : Victime de soumission chimique : agir sans délai et sortir de l’isolement | ameli.fr | Assuré

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