RECONVERSION DANS L’AGRICULTURE : LA DURE RÉALITÉ DU TERRAIN

You are currently viewing RECONVERSION DANS L’AGRICULTURE : LA DURE RÉALITÉ DU TERRAIN
Octobre 2024 © Quoique
Temps de lecture : 7 minutes

Loin d’être une simple lubie romantique, la reconversion professionnelle dans l’agriculture peut se révéler source de grandes satisfactions, mais aussi d’un profond désenchantement. Si elle représente une opportunité de changement de vie, elle expose également à une réalité implacable : celle d’un secteur particulièrement exigeant. La passion devra s’allier à des compétences multiples et à une solide assise financière. Simon, professionnel dans un OPA (Organisme Professionnel Agricole) nous partage son expérience.

Le 06 octobre 2024, par Esther Benezech

« La question de savoir si l’agriculture est un métier d’avenir reste délicate. D’un côté, les enjeux climatiques, environnementaux et alimentaires rendent ce secteur incontournable. L’agriculture locale, durable et respectueuse de l’environnement est en plein essor, portée par un regain d’intérêt de la part des consommateurs. D’un autre côté, la réalité économique et sociale freine ce développement. Le rythme effréné de la vie moderne, couplé à une méconnaissance des réalités agricoles, empêche souvent les personnes en reconversion d’avoir une véritable prise de conscience des difficultés rencontrées par les agriculteurs » relate Simon.

L’agriculture est ainsi à un tournant. Bien que son potentiel soit réel, ceux qui s’y engagent doivent être conscients des sacrifices qu’elle implique. Elle reste un espace de renouveau et de réalisation personnelle, mais toujours au prix d’un pragmatisme sans faille.

Le profil des nouveaux agriculteurs : deux grandes catégories

« Les personnes qui se reconvertissent dans l’agriculture peuvent être regroupées en deux catégories distinctes. La première regroupe ceux qui s’installent sur des exploitations familiales, souvent en reprenant les terres d’un parent ou d’un proche. C’est par exemple le cas d’un mécanicien qui, lassé de son quotidien professionnel, a décidé de reprendre la ferme de son oncle lorsqu’il en a eu l’opportunité. »  Pour ces nouveaux agriculteurs, l’avantage est de bénéficier d’un capital foncier et matériel, souvent accompagné du soutien d’un proche. La reprise familiale permet d’éviter certaines des difficultés liées à l’acquisition de terres et au démarrage de l’activité.

« La seconde catégorie rassemble les individus qui, sans lien familial avec l’agriculture, choisissent cette voie par conviction ou pour répondre à un besoin de changement radical de vie. Ce sont des personnes venant de milieux variés : anciens traders, médecins, informaticiens, militaires, ou encore cadres dans l’industrie, souvent en quête de valeurs éthiques, d’un mode de vie durable et d’un contact direct avec la nature. »  Ces nouveaux agriculteurs sont majoritairement attirés par des filières comme le maraîchage, l’arboriculture ou l’élevage de volailles. Ces secteurs, en plus de représenter un idéal de « jardin grandeur nature », nécessitent un investissement de départ moindre, entre 50 000 et 100 000 euros, comparé à des activités plus coûteuses comme la viticulture ou les grandes cultures.

La formation et l’accès aux terres : un passage incontournable

Qu’il s’agisse de reprendre une exploitation familiale ou de créer une entreprise agricole de toutes pièces, la formation apparaît comme un passage quasi obligé. Bien que la réglementation permette de s’installer sans diplôme, cela limite fortement l’accès aux terres, ces dernières étant prioritairement attribuées aux personnes qualifiées. La personne doit en effet pouvoir montrer aux services de l’État qu’elle a la capacité d’exploiter. « Les formations agricoles les plus courantes, comme le Brevet Professionnel de Responsable d’Exploitation Agricole (BPREA), permettent d’acquérir des compétences techniques, commerciales et de gestion. Sans ce diplôme, même dans le cadre d’une reprise familiale, le futur agriculteur peut se retrouver face à des obstacles juridiques et administratifs. »

En parallèle, de nouvelles initiatives voient le jour pour reconnaître l’expérience pratique des personnes sans diplôme, comme en Occitanie où l’expérience agricole est désormais reconnue, facilitant l’installation de certaines personnes.

Des motivations fortes, mais souvent confrontées à la réalité

Les motivations de ceux qui choisissent l’agriculture sont souvent inspirées par des valeurs écologiques et éthiques. L’idée de fuir la vie urbaine, le trop-plein de numérique et le stress quotidien attire de nombreux citadins vers la campagne. Mais la réalité est parfois bien plus complexe que le rêve. Nombre de ceux qui ont voulu se lancer dans l’agriculture avec une démarche écologique se heurtent à des difficultés économiques et organisationnelles.

« Un exemple parlant est celui d’un couple porteur d’un idéal qui, après s’être installé dans le maraîchage bio, a dû faire face à l’énorme dévouement que requiert ce mode de culture. Entre la nécessité d’anticiper le dimanche après-midi la récolte des légumes pour le marché du lundi matin et les longues heures de travail, ils se sont rapidement confrontés à la fatigue physique et aux sacrifices personnels. Heureusement,  ils avaient dès le départ conscience des contraintes et des bouleversements. Leur projet était mûrement réfléchi et le couple fonctionnait harmonieusement; ce qui leur a permis de continuer. »

L’installation agricole : un parcours semé d’embûches

L’installation agricole peut ainsi être un succès, mais souvent au prix de concessions importantes.  « Je pense également à une femme, qui, à l’approche de la quarantaine, a repris une exploitation familiale pour y développer un atelier arboricole. Malgré une fatigue intense en fin de saison, une perte de poids et un rythme de vie éprouvant, elle ne regrette pas son choix, trouvant dans cette proximité avec la terre et ses proches une nouvelle forme d’épanouissement. »

D’après Simon, chaque année, entre 300 et 500 personnes par département expriment l’envie de s’installer en Occitanie. Parmi elles, la MSA en accompagne environ 150 dans le processus d’installation, et 75 d’entre eux bénéficient d’un suivi plus approfondi. Ces derniers se lancent totalement dès le départ et envisagent de pouvoir tirer un revenu suffisant de leur activité agricole d’ici quatre ans, avec pour objectif d’atteindre l’équivalent d’un SMIC. (Le revenu moyen d’un agriculteur en France en 2022 se situe entre 1200 et 1800 euros brut par mois.) L’autre moitié préfère adopter une approche plus prudente, se donnant l’opportunité de tester leur projet et de voir s’ils parviennent à s’en sortir, sans prendre de risques excessifs dès le départ.

Pour ceux qui se lancent dans une création d’exploitation à partir de rien, plusieurs scénarios se présentent. Il y a ceux qui, tout en poursuivant une démarche écologique, acceptent la réalité : ils ne pourront pas retrouver le niveau de vie qu’ils avaient en tant que salariés. D’autres, soutenus par un conjoint qui compense ainsi une partie des revenus, parviennent à équilibrer la situation. Enfin, certains réalisent tardivement qu’ils n’ont pas anticipé toutes les difficultés pratiques et économiques, et cela peut les désillusionner. « Par exemple, s’orienter vers l’agriculture biologique ou des pratiques raisonnées, ou encore des productions diversifiées, bien que répondant à des principes éthiques louables, exige une rigueur extrême. Ces cultures nécessitent un suivi constant et un engagement total, car il est plus difficile de se rattraper en cas d’erreur. »

Faire face aux difficultés économiques

Simon ajoute également que sur le plan commercial, certains imaginent vendre facilement en direct et attirer une clientèle locale. « Cela peut être vrai, mais tout dépend de la zone d’installation. Dans certaines régions, le marché est déjà saturé, et il devient alors nécessaire de baisser les prix, ce qui peut compromettre la rentabilité. Le maraîchage attire, car il permet une plus grande autonomie mais c’est aussi le plus fragile. »

« L’état d’esprit initial est également déterminant. Ceux qui sont prêts à réduire leur niveau de vie, par exemple en renonçant à des restaurants ou à des sorties, et acceptent l’idée de vivre progressivement avec le RSA la première année, puis de toucher 500 euros la seconde année, et ainsi de suite, sont mieux préparés à affronter les situations. Cette acceptation des réalités dès le départ conditionne la réussite à long terme. »

Près de 15 % des personnes qui se lancent dans l’agriculture quittent le secteur après cinq ans, un chiffre qui monte à 30 % pour ceux qui s’installent en période de test. Les raisons de ces échecs sont variées : difficultés financières, épuisement physique, isolement, manque de soutien familial ou encore des difficultés ergonomiques.  « Un couple, par exemple, a vu son union et son projet s’effondrer après avoir réalisé tardivement que les sacrifices nécessaires pour mener à bien leur projet agricole étaient trop lourds à porter, tant sur le plan professionnel que personnel. »

D’autres, après avoir longuement travaillé en ville, décident de tout quitter pour s’installer à la campagne et créer une exploitation agricole. Parmi eux, un agriculteur, désireux d’adopter une démarche éthique, avait acquis un vaste et beau domaine. Il avait choisi de mutualiser son matériel avec d’autres agriculteurs. Lorsqu’il précisait son parcours, il spécifiait que s’il avait pu mener à bien ce projet, c’était grâce aux revenus conséquents qu’il avait perçu dans le passé. Devenu expert dans son domaine après plusieurs années, il pouvait cependant adopter une attitude critique vis à vis de certains de ses confrères, disposant de moins de moyens, affirmant que leur façon de travailler relevait d’une agriculture « désuète » . Selon Simon, il est aisé de tenir un tel discours lorsque l’on dispose de plusieurs millions, permettant ainsi d’acheter terres, bâtisses, et de gérer son exploitation à sa convenance, avec une trésorerie confortable. Ceux qui s’installent avec peu de moyens, n’ont d’autres choix que de poursuivre leur activité avec les ressources parfois limitées dont ils disposent. Ils aimeraient souvent fonctionner différemment, mais assurer un rendement leur est vital. Ils voudraient mettre en place des solutions plus éthiques, mais ils sont face à une réalité différente. »

Simon pense qu’une approche collective pourrait offrir une véritable opportunité à ceux qui souhaitent se lancer dans l’agriculture, mais hésitent à franchir le pas seul. « Ce qui fait cruellement défaut aujourd’hui, c’est un réseau solide capable de rassembler les personnes partageant cette ambition, pour favoriser la création de collectifs. Certes, mettre en place une telle dynamique exige un investissement en termes de gestion des relations humaines et de communication, car il est essentiel de s’assurer que les objectifs de chacun soient alignés, afin que ces collectifs fonctionnent de manière harmonieuse et durable, mais il me semblerait intéressant d’essayer. »

Le poids de l’économie et du climat 

Au-delà des contraintes individuelles, l’agriculture en France fait face à des crises plus larges. L’inflation, les aléas climatiques comme la sécheresse ou le gel, une réglementation excessive en France, et les crises sanitaires affectent lourdement la rentabilité des exploitations. Entre 2021 et 2023, dans le Gers par exemple, environ 50 % des exploitations étaient sereines d’un point de vue économique. Aujourd’hui, le nombre d’exploitations en bonne santé économique a chuté de 10 %, un recul largement dû à l’augmentation des coûts de production.

Pour les reconvertis qui résistent, la clé réside souvent dans la diversification des compétences. De nombreux agriculteurs choisissent d’acquérir des qualifications parallèles, comme celle de chauffeur poids lourd, afin d’assurer un revenu complémentaire en cas de coup dur. Cette polyvalence est devenue cruciale pour la survie économique des petites exploitations.

Recommander ce contenu