PLURIHANDICAP : LE RÉCIT D’ANNE-MARIE ET DE SES JUMEAUX, CORENTIN ET MATHÉO

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Corentin, Mathéo et Anne-Marie, Périgueux, février 2025
Temps de lecture : 5 minutes

Depuis leur naissance prématurée en 2005, Corentin et Mathéo, jumeaux atteints de plurihandicaps, traversent un parcours semé d’embûches aux côtés de leur mère, Anne-Marie. Entre errance médicale, manque d’accompagnement et lourde charge du quotidien, cette famille a dû se battre pour faire reconnaître les droits des enfants et accéder aux soins nécessaires. À travers ce récit, Anne-Marie raconte son combat de mère et d’aidante.

Le 21 février 2025, par Esther Benezech

À quatre mois de grossesse, après avoir appris que j’attendais des jumeaux, une ombre est venue ternir ce bonheur : les médecins ont décelé un problème de santé, sans pouvoir en déterminer la nature exacte. Les examens, dont une amniocentèse, n’ont révélé aucun trouble particulier. Mais à sept mois de grossesse, mes jumeaux montraient des signes évidents de fatigue. L’accouchement a alors été provoqué en urgence.

Un combat dès la naissance

C’est ainsi qu’en septembre 2005, Corentin et Mathéo sont nés, avant terme, par voie basse. Ils pesaient 1,2 kg. Ils ont pleuré à la naissance, puis ont perdu connaissance. Placés en couveuse, ils semblaient dormir en permanence et ne réclamaient ni sein ni biberon, ce qui m’a profondément inquiétée… à juste titre. Leur pronostic vital était engagé, et vu que l’hôpital dans lequel j’ai accouché n’était pas habilité à prendre en charge des situations aussi complexes, ils ont été transférés vers un hôpital plus adapté. Là, les soignants ont détecté un problème de santé, sans en comprendre l’origine.

C’est en décembre 2005 que le verdict tombe : il s’agit de la maladie de Hirschsprung, une affection génétique rare marquée par une absence de cellules nerveuses ganglionnaires dans le système digestif. Une partie de leur intestin est paralysée. Ils subissent des interventions, vivent avec des poches de colostomie et sont alimentés par sonde nasogastrique. Leur poids chute en dessous du kilogramme. Mon quotidien devient une mécanique infernale : hôpital, soins, absence du père qui nie toute responsabilité. Je tiens bon, automatique, pour mes enfants. Mes aînés sont placés en famille d’accueil, faute de solution.

Financièrement, tout était un combat. J’ai dû puiser dans mes économies pour les déplacements, l’hébergement et la nourriture. Un jour, en pleurs devant l’hôpital, un autre parent me parle de la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH). Jusqu’ici, personne ne m’aiguillait, personne ne me disait quels droits mes enfants et moi pouvions revendiquer. Quand on est confronté à la maladie ou au handicap, c’est difficile de penser à tout cela. Ma préoccupation principale était la santé de mes enfants. Aujourd’hui vous savez, c’est sur Facebook, TikTok, ou bien des rencontres fortuites que je trouve des réponses pour améliorer notre quotidien ou pour être informée sur des prises en charge.

Lorsque mes fils sont rentrés à la maison, ils n’avaient plus de sonde, je refusais d’ailleurs d’assumer seule des soins techniques. J’étais leur mère, pas une infirmière. Heureusement, ils ont réussi à déglutir et sont passés au biberon. Mais d’autres difficultés apparaissaient.

Des obstacles incessants

La MDPH a reconnu leur maladie, mais ne m’a pas informée des autres aides possibles. J’ai reçu l’Allocation d’Éducation de l’Enfant Handicapé (AEH), 149 euros par mois par enfant, avec un complément de niveau 3, mais sans compensation pour mon rôle d’aidante. Chaque mois, je devais choisir quelles factures payer. Les médicaments avec reste à charge ainsi que le lait spécial qu’ils devaient boire coûtaient très chers. Lorsqu’il ont eu 19 ans, j’ai pu les mettre en colocation avec moi afin qu’ils perçoivent l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH), environ 1000 euros par mois chacun, nous assurant enfin une stabilité financière. Car de mon côté, je perçois un peu moins de 900 euros par mois de pension d’invalidité. Les dix-neuf premières années n’ont pas été évidentes comme vous pouvez l’imaginer.

À leurs deux ans et demi par exemple, un nouveau coup dur est venu bouleverser notre quotidien : Corentin et Mathéo sont malvoyants. Cette nouvelle a marqué un tournant, car elle a progressivement pris le pas sur leurs autres handicaps. Aujourd’hui, leur déficience visuelle est la plus grande difficulté qu’ils rencontrent au quotidien. Malgré tout, ils ont appris à lire et à écrire, bien que leur parcours ait été compliqué. Placés en classe ULIS, ils ont arrêté l’école à 12 ans avec un niveau CP. Pourtant, ils n’ont pas de gros retard intellectuel. La MDPH les a catalogués comme déficients intellectuels, sans jamais réévaluer leurs capacités. Aujourd’hui, ils souhaiteraient apprendre le braille, mais nous ignorons vers qui nous tourner.

Une épée de Damoclès

En plus de la maladie de Hirschsprung et la déficience visuelle, un nouveau diagnostic est tombé à leurs 12 ans : le syndrome de Marfan, une pathologie génétique affectant le système cardiovasculaire. Corentin présente un risque de fissure de l’aorte, tandis que Mathéo souffre de valves cardiaques défectueuses. Chaque nuit, je me réveille pour vérifier qu’ils respirent encore.

Malgré tout, mes enfants développent une certaine autonomie. Mais leur méfiance est grande, exacerbée par leur malvoyance. Mathéo a frôlé l’accident à cause de voitures électriques silencieuses. Leur mode de vie est fait de restrictions : leur régime alimentaire est strict : riz, carottes, aucun légume cru… Un simple écart entraîne douleurs, occlusions, diarrhées. Notre quotidien est fait d’adaptations constantes. Les lessives sont nombreuses. Lorsque nous partons une journée, nous devons systématiquement emporter des vêtements de rechange. La maison doit rester immaculée, leur système immunitaire étant fragile. S’ils tombent malades, je dois les isoler l’un de l’autre, ce qu’ils supportent très mal. Nous sommes fusionnels, un trio indissociable. Je suis leurs yeux. Et entre eux, le lien est très fort. Mathéo le dit clairement : « Si mon frère meurt, je veux mourir avec lui. »

Rêver malgré tout

Moi, J’ai touché le fond. Deux ans plus tôt, épuisée, accablée par les obstacles, j’ai envisagé de mettre fin à mes jours, pensant que mes enfants recevraient plus d’aide sans moi. Un infarctus du myocarde m’a ramenée à la réalité. Mes fils m’ont soutenue, ont pris le relais pour faire entendre notre voix. Nous ne cessons de nous battre, de raconter notre histoire pour que l’on nous écoute enfin. Trop souvent, les institutions décident à notre place sans nous comprendre. Il faut qu’elles écoutent les parents, qu’elles sortent de leurs schémas théoriques et viennent véritablement comprendre nos réalités. Corentin et Mathéo ont des capacités. Ils ont été stigmatisés, ignorés. Mais ils sont bien plus que ce que les dossiers administratifs veulent faire croire. Ils ont une vie à construire. Ils ont des rêves. Ils aimeraient par exemple faire du vélo. Certes, ils ne peuvent pas en faire seul, mais accompagnés, cela leur permettrait de découvrir la sensation du vent sur leur visage, ce serait merveilleux pour eux.

Je ne cesserai jamais de me battre pour qu’on reconnaisse leur valeur. Corentin souhaite devenir journaliste, travailler pour la radio. Mathéo, lui, rêve de chanter. Malgré toutes ces épreuves, ils continuent d’espérer. Ils aiment écouter de la musique, jouer aux jeux vidéo, se balader.

Je veux que les institutions prennent conscience de ce que vivent réellement les familles touchées par le plurihandicap. Nous ne voulons plus être oubliés.

Ressources :

– La Haute Autorité de Santé a publié une lettre de cadrage (2020) précisant les différences entre les formes de handicap : LC_Polyhandicap_couv.indd

La maladie de Hirschsprung de Alexis Arnaud (2022) est un ouvrage décrivant cette maladie et  retraçant son histoire. 

Maladie de Hirschsprung – EM consulte (2019)

– L’association Marfans a publié des livrets téléchargeables sur leur site pour en savoir plus sur cette pathologie : Les livres | Marfans

– Tous à l’école qui a pour projet la scolarisation des élèves malades par la sensibilisation, l’information et l’inclusion : Marfan (Syndrome de) | Tous à l’école

– L’info-lettre « Couper l’herbe sous les roues » par Malick Reinhard envoyée tous les mercredis sur votre boite mail : Couper l’herbe sous les roues – L’infolettre de Malick Reinhard

– Handi-Droits est un dispositif d’accompagnement dans les démarches proposé par AFP France Handicap : Handi-Droits | Association APF France handicap

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