La crise sanitaire du covid19 a profondément marqué les esprits par son caractère exceptionnel et de grande ampleur. Les restrictions prises, dans le cadre de l’état d’urgence, touchaient intimement nos espaces sociaux. Chaque jour était publié le nombre de décès engendrant des souffrances pour les proches en deuil. En parallèle, des fêtes, devenues illégales, défrayaient régulièrement la chronique, se réunir était un risque. Comment ces deux facettes de la pandémie que tout semble opposer peuvent-elles s’inscrire dans une réalité commune ? Palmyre, Michel et Charlie, fêteurs ou non, nous partagent leur regard sur la fête durant cette période marquante.
Le 20 décembre 2024, par Josépha Le Sourd Le Clainche
Selon Philippe Steiner, sociologue et auteur de Faire la fête, une sociologie de la joie (2023), « la fête fait partie des événements majeurs de la vie sociale. C’est une occasion pour les membres d’un groupe de se retrouver, de partager une série d’activités qui, en suscitant tout un monde d’émotions et de sentiments, réactivent le sens du collectif ». Symbole de positivité, la fête se traduit sous différentes formes et échelles dont les occasions ne manquent pas. Alors que la pandémie du covid19 se propageait, l’angoisse et la mort avec, la fête était alors un contre pouvoir invoquant la joie dans un contexte où les mesures inédites prises par le gouvernement étaient particulièrement éprouvantes.
Les sens de la fête
Pour Michel, habitant d’Île-de-France, retraité et âgé de 62 ans lors du premier confinement, le sens donné à la fête revêt des significations multiples selon les individus. « Pour moi, le sens de la fête, c’est surtout un évènement qui va nous sortir du quotidien. Une réunion familiale, une sortie avec les copains, aller à une petite fête de pays…La place qui j’y donne n’est pas définie à l’avance, ce sont plutôt des occasions à saisir.» L’absence d’évènements festifs et les interdictions relatives ne l’ont pas impacté outre l’impossibilité de voir des proches. Il explique, durant cette période, la nécessité d’endiguer la propagation face à l’ampleur de la crise sanitaire. « Je crois sincèrement que les pouvoirs publics ont fait ce qu’ils pouvaient pour que la pandémie ne se propage pas trop vite. L’interdiction des gros rassemblements semblait une sage décision.»
Palmyre, âgée de 19 ans, étudiait la psychologie à Nantes. Lors du confinement, elle vivait chez sa sœur aînée, son beau-frère et leur fils. « Faire la fête, c’est se retrouver avec des personnes que j’apprécie, dans un lieu qui n’a pas besoin d’être particulier ou prédéfini. C’est avant tout un moment de convivialité, d’échange et de partage », explique t-elle. Préférant des réunions plus intimistes, Palmyre favorise des temps calmes « sans l’agitation et les attentes sociales qui accompagnent souvent ces occasions ». Ces propos soulignent le caractère normé de la fête et les comportements qui peuvent être attendus voir stéréotypés en fonction des espaces et des formes dans lesquelles elle s’inscrit. « Je prête plus d’attention à pouvoir me ressourcer tranquillement, sans avoir besoin de l’ambiance festive pour me sentir bien. »
Quant à Charlie, tout juste entrée dans la vie active au sein d’un département en majorité rural, elle pense la fête comme un temps nécessaire. « La fête, pour moi, c’est une réunion d’individus dont l’objectif commun est de profiter du moment présent. Faire la fête, c’est sortir de nos habitudes qui peuvent nous emprisonner dans une vie de tous les jours parfois pesante. » Pour la jeune professionnelle, si les évènements festifs peuvent aussi s’enfermer dans des codes, elle insiste sur le caractère « hors espace-temps » de ces moments.
La fête transgressive : entre résistance et responsabilisation
La primauté de l’intérêt collectif sur les désirs individuels est-elle suffisante pour interdire ? Selon Charlie, « c’est dans des contextes comme celui de la pandémie qu’il faut justement trouver des lieux et des espaces pour sortir de cette ambiance morbide. Nous étions entourés par le nombre de contaminations et de morts, alors oui, je me suis rendue à des fêtes en petit comité, car pour moi, c’était aussi ça la vie. Les visios, ce n’était pas suffisant ». La fête est devenue un moyen de contrer la mort par la vie en insérant du vivant dans un contexte où le risque mortel du virus était sans cesse rappelé. Des réunions en petit comité aux rassemblements de plus grande ampleur, au milieu des proches ou des inconnus, la transgression des normes de distanciation sociale répond à des logiques similaires. Au-delà d’un rapprochement physique, celui-ci est également psychique. Si pour certains et certaines, le confinement a été une aubaine pour se retrouver et apprivoiser une nouvelle temporalité, plus lente et propice à l’introspection, pour d’autres, cet isolement imposé a eu un impact psychologique dont les effets ont été démontrés via des études en santé mentale.
La fête, de part sa signification et ce qu’elle représente, vient illustrer les dilemmes auxquels la société a pu être confrontée. Des conflits d’ordre éthique entre la protection collective et les libertés individuelles ont été mis en évidence. Pour Michel, les rassemblements festifs étaient une provocation soulignant l’irresponsabilité de ceux qui y participent, tandis que pour Charlie, la participation à des réunions festives n’empêchait nullement d’adopter des comportements afin de préserver les plus vulnérables. « J’attendais plusieurs jours avant de rendre visite à mes grands-parents pour voir si je n’avais pas des symptômes qui apparaissaient. Mes grands-mères me disaient qu’elles préféraient prendre le risque de l’attraper plutôt que de ne pas me voir ou ne pas avoir de bisous quand j’arrivais. Elles parlaient de la guerre et disaient qu’elles ne voulaient pas revivre dans un contexte de privation », explique Charlie. Comme elle, nombre de jeunes ont exprimé le sentiment de ne pas profiter pleinement de leur jeunesse. Des questionnements autour d’une « jeunesse sacrifiée » ont été mis en lumière, l’appellation « Génération Covid » a été usitée pour illustrer les effets passés et actuels de la pandémie. L’opposition entre jeunes et plus âgés, entre respect des règles et désobéissance, entre égoïsme et altruisme a fait débat pour aboutir sur une vision manichéenne dénuée de toute nuance.
La transgression des règles y compris durant la pandémie covid19 ne peut se réduire à une vision binaire avec les « gentils » d’une part, les « méchants » d’autre part. Si celle-ci contient un caractère intentionnel, l’intentionnalité peut quant elle varier. Lors de la crise sanitaire, plusieurs motifs légitimes pour certains, illégitimes pour d’autres peuvent être mis en évidence tels que s’opposer à l’ordre établi ou rendre la situation plus supportable. En ce sens, la résistance revêt également plusieurs formes. L’inconscience et l’égoïsme ne sont pas à exclure dans les raisons à transgresser les mesures de distanciation sociale.
Dans « Brève histoire des fêtes clandestines : quand le divertissement entre en résistance », Alexia Colone aborde la fête comme une forme de résistance à travers l’histoire y compris dans les contextes les plus dramatiques. Que ce soit durant la prohibition aux États-Unis, sous l’occupation en France durant la seconde guerre mondiale ou encore sous le mandat de Marguerite Thatcher au Royaume-Uni, des rassemblements dits clandestins ont eu lieu.
Le délit de fête
Le décret du 17 mars 2020 a officialisé les sanctions et les condamnations encourues en cas de violation des mesures prises par le gouvernement pour enrayer la propagation du virus. Ces sanctions se traduisaient principalement par une amende forfaitaire mais également par des mises en examen. En janvier 2021, à Lieuron, dans le département d’Ille-et-Vilaine, une fête réunissant 2500 personnes venues de toute la France a été organisée pour fêter le nouvel an. Au moment des faits, l’un des organisateurs a été placé en détention provisoire pour « mise en danger d’autrui » et pour le caractère illicite de la mise en place de l’évènement. Les rave et les free party sont des modes festifs régulièrement médiatisés voir condamnés, que ce soit sur le plan juridique mais également social de part les représentations associées. Dans son article « Faire la fête : rave et free party comme moyen de s’affranchir » , Quoique s’est penché sur ces représentations et ces types de fêtes particulières.
Les risques de sanctions pénales pouvant aller jusqu’à une peine d’emprisonnement ont questionné Michel, Palmyre et Charlie. « Ces arrestations et la prison sont exagérées, un simple rappel à la loi aurait été suffisant je pense. Quant à une amende, pourquoi pas, le simple fait de mal remplir son attestation en était passible », explique Michel. Pour Palmyre, « ces arrestations étaient démesurées. Il me semble que la pandémie a déjà imposé de nombreuses restrictions, et ces mesures supplémentaires apparaissent disproportionnées, surtout lorsqu’il s’agissait d’événements impliquant des adultes consentants. Je pense que le système pénal est déjà surchargé. Il n’y a pas de sens, selon moi, à condamner avec autant de sévérité un acte qui n’est pas intrinsèquement dangereux et qui repose sur la responsabilité et le consentement de chaque participant. D’ailleurs, le confinement constituait déjà une atteinte à nos droits fondamentaux, rendant à mon sens ces sanctions d’autant plus disproportionnées ». Quant à Charlie, « être puni pour avoir fait la fête, c’est absurde. La punition ne fonctionne pas, la prévention, ça prend du temps mais cela a montré son efficacité. Peut-être que ce temps, nous ne l’avions pas mais faire de la fête sous covid, une affaire judiciaire, ça m’a choqué. D’autant plus que, pour moi, en fonction de ta classe sociale, le traitement n’était pas le même ».
La fête impliquait le risque de propager le virus et des sanctions judiciaires pouvaient être prononcées. L’acte de fêter inscrit dans les lignes du code pénal peut sembler dissonant car l’objet cristallise nombre de débats : l’intérêt collectif face aux libertés individuelles, la distanciation sociale qui se heurte aux principes éducatifs de socialisation dés le plus jeunes âge, l’isolement extrême des personnes vulnérables en institution, les lieux d’habitation lors des confinements…etc
La fête, une nécessité sociale ?
« La fête est nécessaire dans une société. Nous ne sommes d’ailleurs pas obligé d’y assister. Elle va permettre à certains de s’évader, voir à se défouler après une semaine de travail par exemple. Il y a les inconditionnels qui ne peuvent s’en passer, qui se trouveraient frustrés sans elles. Une société comme la nôtre ne pourrait empêcher la fête. Quel mécontentement en perspective ! », analyse Michel. Quant à Charlie, elle évoque la fête comme une forme de liberté : « nous avons bien souvent des comportements différents lorsque l’on se rend à des fêtes, cela me permet de m’exprimer un peu plus, de sortir du cadre et du train-train quotidien. Pour moi, la fête est primordiale car elle est créatrice de liens sociaux, qu’ils soient éphémères ou non. La fête permet de découvrir et de se découvrir aussi y compris dans des contextes comme la pandémie. Je ne pensais pas que j’allais enfreindre les règles de cette manière. »
Pour noël, le gouvernement avait autorisé les familles et les proches à se réunir. Une fête en comité restreint avec un cercle social connu et hautement symbolique, la famille. En tant de « guerre », pour reprendre les mots du président lors de son allocution du 16 mars 2020, il est nécessaire de remonter le moral des troupes. Ainsi, cette fête, à la signification religieuse, était considérée comme importante par le gouvernement et donc, autorisée, tel un moyen d’acheter la paix sociale avant de revenir à des restrictions devenues presque ordinaires.
Ressources :
– Radio France a publié un podcast (2023) où Philippe Steiner propose un bref état des lieux des pratiques festives : Faire la fête pour partager la joie | France Culture
– Claudine Sagaert propose un regard philosophique sur le concept de transgression (2017) : De la légalité à l’illégitimité: une approche philosophique de la transgression
– Thomas Seguin publie en 2012 dans les Cahiers de Psychologie Politique propose un analyse du rôle et de la place de la transgression comme utilité sociale : Transgression et société – Thomas Seguin – Cahiers de Psychologie Politique
– La photographe Andréa Martins a capturé les fêtes clandestines durant le confinement, un coup de coeur de Fisheye Magazine a mis en lumière son travail : Les coups de cœur #421 : Andréa Martins et Hugo Blachier