En 2019, une étude montre que 31% des femmes musulmanes vivant en France portent l’hijab ou le niqab. Bien plus qu’un simple accessoire vestimentaire, le voile revêt des significations multiples. Évoquer ce sujet n’est pas anodin, car les femmes qui font le choix de le porter se retrouvent parfois confrontées à des regards dépourvus de bienveillance. Imen, une jeune femme de 23 ans, nous invite à parcourir son récit, où le port du voile résulte d’une décision personnelle réfléchie.
05 mars 2024, par Esther Benezech
Imen, dont le prénom signifie « celle qui a la foi », a adopté l’hijab, ce voile qui enveloppe les cheveux et le cou de celles qui le portent. Son message vise à faire comprendre que, derrière ce voile, se trouve un être humain singulier qui a fait un choix délibéré et qui demande à être reconnu dans sa décision. Elle est toutefois consciente que certaines femmes sont contraintes de le porter, et elle insiste sur le fait que cette vision-là est contraire à la religion. Imen met en exergue l’impératif de comprendre que le voile se porte pour soi-même, dans son rapport à la religion, et non pour les autres. Son intérêt pour le voile remonte à l’enfance, mais le chemin vers sa pratique n’a pas été linéaire.
La quête spirituelle, un long cheminement
« J’ai ouvert les yeux directement sur l’islam. » Dès son plus jeune âge, Imen écoute attentivement les récits des prophètes contés par sa maman. Elle se plonge dans ces histoires avec un intérêt profond, éveillant en elle une certaine émotion, bien que le concept de Dieu demeure encore flou. À ses yeux, la notion divine ne trouve pas vraiment d’écho, si ce n’est qu’elle s’apparente à la crainte de transgresser des interdits. Au sein de cet univers, parsemé de rires et de festivités, certaines facettes de la religion lui paraissent évidentes, d’autres incomprises. À cette période de sa vie, sa conscience n’est pas encore en éveil sur les questions religieuses. Elle vit simplement cette réalité telle quelle et lui accorde une forme de bienveillance.
La jeune femme découvre progressivement la complexité de la foi, amorçant sa première réflexion sur le port du voile, entre l’âge de 8 et 10 ans. À ce moment-là, elle attribue avant tout une vision esthétique au fait de le porter. « À cet âge, j’ai commencé à envisager de porter le voile, le trouvant beau. Dans ma famille, les femmes le portent depuis la puberté. Lors d’un séjour en Tunisie, j’ai décidé de le porter, influencée par une jeune parente qui m’avait inspirée. Mon choix a suscité une réaction inattendue de ma mère, une femme voilée attachée profondément à sa religion. Elle m’a interpelée en me demandant si j’étais réellement sûre de vouloir le porter, soulignant l’importance d’une réflexion personnelle plutôt que de suivre simplement les autres. À cet âge, je ne comprenais pas encore la nécessité d’une démarche réflexive. Je pensais que mon attrait pour le voile suffisait comme justification. »
Les premières expériences au collège marquent des moments clés dans son cheminement. Elle porte le voile, l’enlève en rentrant dans l’établissement, le remet en sortant, mais elle se sent seule avec cette vision de l’Islam. « Au fond, je ne comprenais pas la religion. » Imen finit par l’enlever à la fin de la cinquième. C’est en arrivant au lycée, après un changement d’école, qu’elle prend véritablement ses distances avec la religion. Elle explore d’autres horizons spirituels, cherchant des réponses dans le karma, le bouddhisme, et l’hindouisme. Elle se plonge dans des débats métaphysiques, mais l’absence de réponses concrètes l’éloigne progressivement de cette quête existentielle. La dépression s’installe, les relations amicales se distendent, Imen s’isole, cherchant désespérément un sens à sa vie. Elle se réfugie à cette période dans quelques excès. « Je me questionnais fréquemment sur la finalité de tout cela. Mes interrogations demeuraient sans réponse. Lorsque je tentais de les élucider, tout restait nébuleux, abstrait. J’étais en quête existentielle, en quête de vérité. Cependant, à ce moment-là, je refusais de l’expliquer par le prisme de l’Islam. Je rejetais toutes religions trop « solides ». Elles semblaient trop rigides, trop brutes. Cela limitait ma pensée à cette époque. Je désirais la liberté. Ma mentalité faisait que je refusais de me confiner dans une catégorie trop stricte. »
En sollicitant de l’aide au plus profond d’elle-même, elle accorde progressivement plus d’importance au récit de sa mère. Ses paroles résonnent doucement, à proximité, et de loin. « Elle tentait de me faire comprendre certaines choses, de me rappeler quelques vérités. » À sa surprise, Imen se rend compte qu’elle parvient à l’entendre, alors qu’auparavant, ses paroles lui échappaient. Elle se rapproche de la religion, sans toutefois ressentir la nécessité de la pratiquer de manière formelle. Elle se sent davantage en paix, moins en rejet vis-à-vis de celle-ci. Juste avant la pandémie, elle met fin à plusieurs comportements néfastes et elle se sent de mieux en mieux. La vie lui apparait de plus en plus claire.
Un tournant survient avec la grave maladie de son père, atteint de la COVID. Confrontée à la fragilité de la vie, Imen se fait une promesse intérieure. Si son père survit, elle renouera avec la pratique religieuse. Un an après cet épisode, le port du voile devient une réalité. Une décision prise non par superstition, mais comme une réponse à sa quête de foi, confirmée par le miracle de la guérison de son père. Pour elle, Dieu devient alors souverain, détenant une autorité suprême sur toutes choses. Elle se montre ainsi disposée à suivre les enseignements et commandements divins. En se soumettant à Dieu, elle place sa confiance en lui pour la guider à travers la vie. Bien que le terme « se soumettre » puisse revêtir une connotation négative, elle l’accepte en toute conscience, considérant cela comme un choix réfléchi.
Le voile, une fonction protectrice
Le port du voile devient également un rempart entre elle-même et ses vulnérabilités. Elle le perçoit comme une barrière nécessaire pour éviter les excès et les péchés. « Je précise qu’il n’existe pas de perfection dans la vie d’un croyant. On commettra toujours des péchés, qu’ils soient majeurs ou mineurs. À un certain moment, j’avais des tendances, des penchants, dont je n’arrivais pas à me détacher. Je ne percevais aucune autre alternative que d’établir une barrière, et la barrière la plus difficile à instaurer était le voile. À mes yeux, le voile devait m’empêcher de m’engager dans des actions qui ne devaient pas être entreprises. Il constituait une barrière nécessaire entre moi et les hommes, me protégeant ainsi de moi-même. Chacun aura une histoire différente. Chez moi, le port du voile répond au besoin de me préserver, notamment de moi-même. » Les choix vestimentaires qu’elle fait aujourd’hui sont intimement liés à sa relation à la religion et à son désir de moins se préoccuper de son apparence. Cependant, lorsqu’elle se sent encore investie dans le jeu de la séduction, elle opte pour des vêtements moins amples. Le port du voile lui offre une échappatoire à la séduction superficielle qu’elle juge désormais futile, et qui l’entraîne parfois dans des comportements source de souffrance.
Le voile et les autres
Si le port du voile lui a permis une rencontre plus authentique avec elle-même, ainsi qu’une distance plus juste vis-à-vis de ses vulnérabilités, les effets de cette nouvelle tenue furent nouveaux. Elle relate une expérience où une inconnue l’interpelle dans la rue. « Un jour, je me promenais avec une amie non voilée à la recherche d’un restaurant. Une dame qui avait entendu notre discussion s’approche comme si elle allait me demander son chemin et lance : excusez-moi, vous cherchez votre restaurant en Afghanistan ou en Iran ? Ce matin-là, j’étais habillée entièrement en noir pour la première fois en étant voilée. Avant, je portais souvent du noir, sans problème. Sur le moment, j’ai été surprise, demandant même à la dame de répéter ses propos, car je n’y croyais pas. Face à son regard, j’ai compris qu’il valait mieux ne pas engager la discussion. Il n’y aurait pas de compréhension, pas de débat possible. J’ai ressenti cela comme une agression verbale, j’ai pris sur moi, caché ma frustration, tout comme mon amie. Nous en avons discuté pendant près d’une heure. C’était la première fois de ma vie que l’on me parlait ainsi. »
Malgré la paix intérieure qu’elle trouve dans sa foi, ces regards constituent pour elle une source de conflit intérieur. Le regard des gens s’immisce dans sa pensée et lui susurre : « Oulala, on te regarde. Avant, le regard n’était pas le même. Je connaissais le jugement que l’on portait sur moi, consciente des commentaires sur mon physique. Maintenant, mon entourage me trouve bien, joviale. Mais en dehors, certaines personnes scrutent ma tenue. » Le mot qu’elle prononce pour qualifier le regard des autres sur elle est le mot dégoût. Quand elle est scrutée de haut en bas et de bas en haut, elle a l’impression de susciter de la répulsion chez eux. Aujourd’hui, elle n’arrive pas encore à rester indifférente. « Je dois travailler sur la façon dont d’autres perçoivent cela, afin de ne pas être trop affectée. Dire que le regard des autres importe peu serait être dans le déni. Ce n’est pas vrai. Parfois, on peut s’en détacher, parfois cela peut nous atteindre. C’est ce regard que l’on peut ressentir parfois en étant voilée. Certains vous fixent d’une manière qui n’est pas nécessairement bienveillante. Certains ont un regard curieux, tandis que d’autres adoptent un regard plus malveillant. »
Elle éprouve aussi parfois des difficultés à s’intégrer dans une société où sa mentalité et son choix vestimentaire suscitent l’incompréhension. Elle revendique sa féminité tout en portant le voile, plaidant pour une inclusion des femmes voilées dans les débats féministes. « Pour moi, on peut être féministe et porter le voile. » Selon elle, le port du voile ne limite en rien sa capacité à utiliser son corps librement, à être active, à travailler ou à être autonome et indépendante. Elle trouve nécessaire de respecter les choix individuels tant qu’ils ne portent pas atteinte à autrui. Le port du voile est parfois assimilé à la peur d’une islamisation de la société, ou bien basée sur une tradition antireligieuse où toute pratique est considérée comme rétrograde et sexiste. Or, Imen ne le voit pas comme une offense aux valeurs démocratiques. Elle réfute toute attitude extrême qui cherche à imposer des pratiques au nom de Dieu ou d’une autre conviction. « On n’impose pas les choses. On prend les gens par la main, on leur explique les choses, s’ils sont d’accord et qu’ils ont envie de les faire, tant mieux. S’ils n’ont pas envie de les faire, on respecte. On ne peut pas forcer les gens. Même Dieu, on accepte de se soumettre à lui. Les extrémistes instaurent de l’injustice dans le cœur des autres. Ils les obligent sans les laisser comprendre et choisir. Or, la notion de liberté est importante. On n’impose pas le voile. Le voile est un choix réfléchi. On accepte de se soumettre à Dieu. En aucun cas à un homme. »
Imen respecte la diversité d’opinions et prône la tolérance. Face à ceux qui affirment que le voile symbolise un patriarcat maintenant la femme dans une position inférieure à celle des hommes, limitant ainsi leurs libertés et les réduisant à la sexualité, elle répond que dans son cas, si elle accepte une forme de soumission, ce n’est absolument pas envers un homme, mais envers un concept plus vaste, celui du « grand Autre », qui lui permet de trouver un appui sécurisant et de donner du sens à sa vie.
Ressources
– Comment la femme voilée est devenue la figure d’une féminité « hérétique » , Lucie Delaporte pour Mediapart (2023).
– L’islam féministe et le défi du patriarcat dans la jurisprudence islamique, Rita Faraj pour la revue L’islam au XXIème siècle (2021).
– Tijou, Brigitte. « Les paradoxes du voile », Vacarme, vol.27, no. 2, 2004, pp. 109-116 : Les paradoxes du voile | Cairn.info