L’usage du téléphone chez les jeunes suscite de vives réactions. Tantôt banalisé, tantôt source d’inquiétude en raison des bouleversements sociaux qu’il provoque, ses répercussions se font sentir aussi bien au sein des familles, dans les établissements scolaires, qu’au cœur de la société, et même entre les adolescents eux-mêmes. Quoique a choisi de recueillir le témoignage d’une des principales concernées : Olivia, une adolescente de 15 ans.
Le 08 septembre 2024, par Esther Benezech
« J’ai eu mon téléphone au début de la cinquième, à 12 ans. La décision prise par mes parents était motivée par le fait que je devais rentrer seule du collège. Cela les rassurait que j’en aie un. Bien sûr, j’en avais envie, car dans ma classe toute le monde en possédait déjà. »
Selon Olivia, c’est au passage de la sixième à la cinquième que toute sa classe s’est équipée d’un téléphone portable. En France, selon une étude de Médiamétrie, l’âge moyen d’acquisition est de 9 ans et 9 mois, bien que d’autres sources fixent cet âge à 11 ans. Les parents justifient cette décision par la volonté de responsabiliser leur enfant, de répondre à leurs sollicitations répétées, et de prévenir toute forme d’exclusion sociale.
Téléphone portable et construction identitaire
Olivia utilise son téléphone environ trois heures par jour, un temps qui s’allonge pendant le week-end, atteignant parfois jusqu’à sept heures en une journée. Malgré cette utilisation régulière, elle explique ne pas ressentir de malaise particulier en l’absence de son portable. « Pendant la journée de cours, je ne regarde pas mon téléphone. Certains oui, mais moi, je le consulte seulement pendant la pause du midi. » Tandis que ses parents avaient établi une limite quotidienne jusqu’à la fin de la troisième, elle gère désormais elle-même son temps d’écran.
Le terme « nomophobie », qui décrit l’anxiété liée à l’absence de son téléphone, ne semble pas la concerner. Si ses parents lui confisquent parfois, elle assure, que cela ne la dérange pas particulièrement. Elle se souvient avoir été privée de portable pendant une semaine sans en ressentir de manque particulier. En revanche, elle reconnaît l’influence des réseaux sociaux sur son processus de construction identitaire : « les réseaux sociaux aident à se construire, car on s’inspire des autres. Quand on apprécie le style de quelqu’un, on essaie de l’imiter par exemple. » Elle mentionne s’inspirer de créatrices de contenus sur TikTok notamment « celles qui s’habillent avec goût. » Les réseaux sociaux lui permettent de suivre des codes et des tendances, contribuant à façonner son image personnelle. Ils lui offrent ainsi un espace de découverte et d’expression.
Olivia n’a jamais été confrontée à des réactions désagréables sur les réseaux sociaux et évoque la prudence dont elle fait preuve quant à ses publications : « je fais attention à mes post, Je ne mets pas grand-chose. » Dans son cercle social, l’intimité est respectée : « on ne diffuse jamais de vidéos ou de photos sans l’accord de l’autre. » Elle et ses amies restent cependant vigilantes à leur attitude lorsqu’elles sont à l’extérieur, craignant d’être filmées à leur insu et de voir ces images diffusées sur internet. Cette prudence engendre parfois une inhibition de l’expression et rend plus difficile le fait de se détendre.
Olivia se retrouve dans un paradoxe : d’un côté, elle utilise son téléphone pour exprimer et construire son identité ; de l’autre, ce même appareil la contraint parfois à se retenir, à limiter ses gestes pour éviter d’être capturée sans son consentement.
Le téléphone comme lien familial
Outre le fait de rassurer ses parents lors de ses trajets en solo, Olivia souligne un autre aspect ayant un impact significatif sur sa vie. Ses parents sont séparés depuis ses quatre ans. L’arrivée du téléphone portable dans sa vie a constitué un véritable pont entre elle et le parent avec lequel elle ne se trouvait pas en période de garde alternée, facilitant ainsi le maintien du lien malgré la distance. Cependant, ce même outil est aujourd’hui source d’un certain revers. En effet, lorsqu’elle est chez l’un de ses parents, l’autre la sollicite fréquemment, notamment pour évoquer ses résultats scolaires. Cette situation lui impose une double pression, d’autant plus que ses parents ont des attentes très élevées à ce sujet.
Un usage multiple
Olivia utilise principalement son téléphone pour « surfer » sur les réseaux sociaux, en particulier Instagram. Elle l’emploie également pour regarder des séries, prendre des photos ou encore dans le cadre de ses activités sportives, en suivant sa distance parcourue et en surveillant sa fréquence cardiaque. Elle estime passer beaucoup de temps sur TikTok, et bien qu’elle ait tenté de s’en sevrer, elle n’a tenu qu’un mois avant de replonger, particulièrement pendant les vacances scolaires, lorsqu’elle s’ennuyait et cherchait à occuper son temps en regardant de courtes vidéos ou des extraits de films.
En matière de communication, Olivia privilégie les messages écrits aux appels et aux messages vocaux, qu’elle trouve inopportuns : « j’ai peur de déranger avec un appel. Quant aux vocaux, on ne peut pas toujours les écouter. Les messages, c’est plus pratique. » Cette approche illustre un besoin de contrôle sur le rythme et la forme des interactions. Les messages écrits offrent une certaine flexibilité, permettant à chacun de répondre à son propre rythme, de réfléchir avant d’émettre une réponse et d’éviter les silences gênants ou les échanges trop directs, jugés parfois pressants ou intrusifs. Cela marque également une certaine économie des émotions. Olivia confie, qu’en raison de sa timidité, elle trouve plus facile de s’exprimer par message : « déclarer ses sentiments, c’est plus simple par message qu’en face à face. » La technologie vient alors médier les émotions.
Bien qu’elle n’ait pas de réticence à passer des appels, elle les réserve aux occasions importantes telles que les anniversaires ou les urgences. « Avec les copines, on fait parfois des appels en groupe. » Dans ce cas, la communication directe conserve une valeur forte, permettant de recréer un sentiment de proximité. La dimension collective atténue l’éventuelle gêne d’un tête-à-tête.
Quant à son usage nocturne, Olivia précise ne pas être tentée de consulter son téléphone la nuit, même si c’est la dernière chose qu’elle regarde avant de dormir. Le matin, en revanche, elle n’y prête pas attention avant une certaine heure. Elle pense pouvoir se passer de son téléphone pendant quelques jours, mais passer une semaine entière sans nouvelle de ses amies lui serait difficile : « les nouvelles des copines me manqueraient, surtout pendant les vacances. »
Lorsqu’elle est à l’internat, Olivia utilise son téléphone moins fréquemment, malgré l’absence de restrictions à cet égard. La présence de son groupe d’amis en est la raison principale. Quand elle n’est pas avec eux, elle recherche leur contact de manière virtuelle.
Les répercussions sur la santé mentale et physique
Observant son entourage, Olivia remarque que certaines personnes, adultes y compris, sont totalement absorbées par leur téléphone, au point de n’être que très peu en lien avec les autres. « Pour moi, c’est de l’addiction. Il faudrait désinstaller certaines applications qui dans leur stratégie nous envoie des notifications, pour nous pousser à revenir. » Pour sa part, elle ne perçoit pas de fluctuations d’humeur liées à l’usage de son téléphone. Elle reconnait que l’utilisation de celui-ci pallie parfois à l’ennui, révélant une certaine difficulté à trouver des alternatives plus enrichissantes. Le téléphone devient alors la solution de facilité qui occulte toute démarche d’imagination. Elle se rend compte également que lorsqu’elle passe de longues heures sur son écran, elle adopte un mode de vie plus sédentaire, ce qui n’est pas sans conséquence sur sa santé, notamment sur sa prise de poids. « Parfois, je reste allongée pendant des heures devant mon téléphone sans bouger. Je suis consciente que ce n’est pas une bonne chose pour ma santé. »
Olivia porte un regard clair sur les inquiétudes des adultes concernant la relation des adolescents avec leur portable. Elle reconnait que cela peut constituer un frein sur le plan scolaire, notamment parce que le temps passé dessus empiète sur d’autres activités. « Cela dit, si je n’avais pas de téléphone, je ne saurais pas vraiment quoi faire d’autre. Ça m’occupe. Je n’étudierais pas davantage. »
Elle admet que son propre usage peut parfois altérer son attention : « parfois je n’écoute pas ce qu’on me dit parce que je suis sur mon téléphone et j’avoue que parfois, en étudiant, je me laisse déconcentrer par une notification. » Cette confidence souligne l’interruption constante de l’attention par les technologies. Olivia pointe du doigt les plateformes qui rivalisent pour capter l’engagement des utilisateurs à travers des stimuli fréquents. Cette désynchronisation entre l’intention de concentration et l’interruption technologique engendre non seulement une perte de temps, mais aussi une diminution de la qualité de l’attention portée à la tâche en cours.
Se pose alors un dilemme entre l’attrait du téléphone et le désir de rester attentif.
Réflexions et propositions
Si Olivia pouvait légiférer, elle interdirait TikTok, qu’elle considère comme un système créant une dépendance. Son discernement lui permet de comprendre les mécanismes de récompense instantanée qui l’invitent sans cesse à revenir. Elle comprend que certaines applications, par leurs algorithmes et la nature virale de leurs contenus, captent l’attention de manière excessive, transformant le loisir en une dépendance difficile à stopper.
Olivia va plus loin en suggérant que l’accès au téléphone soit réglementé, avec une première attribution en classe de quatrième, soit à un âge où l’adolescent commence à développer une forme de maturité. Quant à la durée d’utilisation, elle proposerait une limite de quatre heures par jour pour les adolescents de son âge.
Olivia ne croit pas en un retour possible à un monde sans téléphone portable. Elle exprime une lucidité quant à la centralité de cet outil dans nos interactions. « Le monde tourne autour de ça. Si demain un gouvernement interdisait le téléphone portable, personne ne respecterait la règle. » Moduler son utilisation créerait selon elle des remous mais elle pense que nous nous adapterions. « Certains seraient perdus, mais ça les inciterait à aller vers les autres. » Elle souligne l’ambivalence autour de cet outil de connexion qui favorise tant les échanges instantanés que l’isolement. Modérer son usage inciterait à renouer davantage avec des formes d’interactions plus directes. Elle-même, aimerait passer davantage de temps avec ses amies, mais elle constate, sans pouvoir en expliquer les raisons, que la réalité des rencontres ne se concrétisent pas autant qu’elle le souhaiterait. L’amitié étant d’une importance capitale pour elle, le téléphone portable lui permet alors de rester constamment connectée avec ses pairs.
Ressources:
– Mémoire de master 2 Encadrement éducatif. Université de Poitiers. Les usages du téléphone portables des jeunes lycéens d’aujourd’hui dans leur univers de socialisation . Marine Berthault. 2018-2019
– Pour ou contre le portable à l’école?
– Besoin d’échanger sur le sujet avec un tiers? Filsantejeunes.com dispose d’un numéro gratuit accessible de 9h à 23h dédié aux 12-25 ans pour toute question de santé, y compris les problèmes liés à l’usage excessif des écrans.