Les médias publient fréquemment des articles concernant l’interdiction d’organiser des rave et des free party par les préfectures. Ces fêtes déplaisent par leur caractère libre et underground. Sujettes à des représentations négatives, elles sont marginalisées au nom de la sécurité et de l’ordre public. Rave et free party se rejoignent et se distinguent par leur mode d’organisation. Loin de s’inscrire dans la déviance, elles sont des objets propices à la réflexion sur la société qui nous entoure.
Le 8 novembre 2024, par Josépha Le Sourd Le Clainche
La notion de clandestinité est récurrente lorsqu’il est question de rave ou de free party. Que ce soit dans les articles de presse – relatifs aux interdictions préfectorales et aux interventions des forces de l’ordre sur les lieux festifs – ou dans les textes de lois, le fêtard non déclaré est hors la loi. Ces fêtes sont considérées comme des évènements incontrôlables avec cette idée persistante de lieux où se regroupent des personnes emplies de vices, cachées à l’abri des regards pour permettre l’expression de leur déviance telles que la consommation excessive d’alcool et de stupéfiants, la dégradation des lieux et propriétés environnantes, un niveau sonore excessif, ou encore des dérives au sein même de la manifestation. Si comme dans tout évènement festif, des risques sont présents, ceux-ci ne sont pas propres aux rave et free party, néanmoins, c’est sur ces modes festifs que sont projetées les plus grandes craintes du désordre.
Rave et free party : des différences et des nuances
Une confusion s’opère entre ces deux types de fête, bien que le but soit commun, des nuances sont néanmoins présentes. Dans son article du 6 juin 2024, le magazine Tsugi, un mensuel indépendant sur la musique et les nouvelles tendances, propose de clarifier les deux termes. La première différence est financière, la rave party suppose une entrée payante alors que la free party repose sur le don libre. La seconde s’opère dans le choix des Djs, l’une mise sur la célébrité de l’invité permettant de rentabiliser les billets, l’autre opte pour des Djs moins connus et plus en phase avec l’esprit free party. La rave se déroule dans un lieu connu et déclaré auprès des autorités, payante, elle est en ce sens commercialisée et suppose un accord avec les propriétaires des lieux. Elle est un entre-deux entre la free party et les clubs traditionnels. Quant à la free party, celle-ci se veut moins visible, non déclarée et plus alternative. Les organisateurs et les participants revendiquent son rôle de résistance dans le milieu.
« Au début, la rave était un mouvement underground, qui se développait de manière autonome et sans publicité. Mais au fil du temps, elle a commencé à attirer de plus en plus de monde, et à se faire connaître du grand public. Les médias ont commencé à parler de la “rave-mania”, et la culture rave est devenue un phénomène de masse, avec ses propres codes, ses propres modes de vie et ses propres icônes » écrit Eric dans son article « D’où vient la culture rave ? » pour Technomag. La rave partie se distingue aujourd’hui de sa consœur par une conformité à l’ordre et aux lois. Libre dans son contenu et originale par les lieux inhabituels où elle se réalise, la rave connaît dans sa forme un processus de normalisation. Elle tend à répondre aux règles et aux attendus de la fête contrôlée et protégée de ses dérives potentielles. En ce sens, elle rompt avec certains principes de son histoire dont la volonté de proscrire toute forme d’élitisme. Cependant, la jonction que ce mode festif opère entre club traditionnel et free party reste une forme d’affranchissement car si la rave se normalise, elle se maintient dans un espace d’expression en deçà des représentations positives communément admises autour de la fête.
La free party, considérée comme illégale par les autorités – non déclarée et aucun accord avec les propriétaires des terrains – est généralement affiliée à l’idéologie anarchiste. Tel un effet domino, l’idée de l’anarchie comme synonyme de chaos et de désordre, est calquées sur les free party. Pourtant, tout comme ce courant de pensée, celles-ci ne sont pas des lieux de sauvagerie laissant libres courts à tous les excès. Elles appliquent une organisation horizontale où chacun est libre de faire la fête à contre-courant des standards. En ce sens, elles se présentent comme des exutoires, des espace-temps durant lesquels, l’individu sort de sa quotidienneté et les pressions inhérentes.
La « free-marge », un espace social et géographique en tension
Depuis la covid 19, les associations et organisations spécialisées constatent une répression de plus en plus croissante sur les raves et particulièrement les free party. La culture free n’est pourtant pas nouvelle et prend son essor dés 1993 en France. La résistance par la fête à l’ordre établie, dont les dates clés sont listées par Technoplus, est au cœur des revendications de ce mouvement.
La frontière entre ce qui est considéré comme appartenant à la norme et ce qui est considéré comme anormal sous-entendu déviant au sens durkhemien du terme est poreuse. Au sein de cet entre deux s’entrechoquent les interprétations autour de la marge, la marginalité et la marginalisation. Le teufeur peut alors être considéré comme un « outsider » de la fête, un concept développé par Howard Becker, dont la signification peut revêtir plusieurs sens : « Quand un individu est supposé avoir transgressé une norme en vigueur, il peut se faire qu’il soit perçu comme un type particulier d’individu, auquel on ne peut faire confiance pour vivre selon les normes sur lesquelles s’accorde le groupe. Cet individu est considéré comme étranger au groupe [outsider] . Mais l’individu qui est ainsi étiqueté comme étranger peut voir les choses autrement. Il se peut qu’il n’accepte pas la norme selon laquelle on le juge ou qu’il dénie à ceux qui le jugent la compétence ou la légitimité pour le faire. Il en découle un deuxième sens du terme : le transgresseur peut estimer que ses juges sont étrangers à son univers.»
Les free party sont en marge, organisées à l’écart, en périphérie, souvent dans des champs, des jachères ou des lieux abandonnés. Elles ne sont pas rares mais marginales puisqu’elles ne s’inscrivent pas pleinement en tant que partie prenante d’un système. Une marginalité revendiquée et nécessaire car les free party constituent un contre-pouvoir culturel permettant de questionner la norme – une construction sociale qui n’est pas immuable – à travers l’objet de la fête, vecteur de questionnements plus larges (politiques, sociaux, culturels et sanitaires). Ces évènements festifs et culturels sont néanmoins marginalisés par les autorités, leurs pratiques sont répertoriées dans les déviances du fait du cadre illégal dans lequel elles s’inscrivent. L’organisation et la participation à une free party sont une transgression. Le teufeur outrepasse l’interdit prononcé par une autorité dominante. Si les free party ne sont pas excluantes, elles sont exclues du paysage culturel et festif communément admis. Enfin, le processus de marginalisation s’opère également par la réputation dangereuse voire sauvage qui entoure ce type d’évènement. « Après 21 ans d’existence, les free-parties continuent de traîner une réputation sulfureuse de « situations à hauts risques ». Pourtant, des bilans des teknivals aux statistiques gouvernementales sur la mortalité liée aux drogues, en passant par les recommandations officielles sur les interventions en espace festif, tout indique que cette réputation tient plus de la rumeur, du folk devil que de la réalité » explique Freeform, association de défense et de promotion de la culture free.
Les rave party sont quant à elles dans une marge plus réduite au vu des changements opérés dans leur mode d’organisation. Reconnues des autorités, elles restent marginalisées par leur culture alternative et inhabituelle, marginale par les valeurs défendues et revendiquées.
La prévention plutôt que la répression en milieu festif, une pratique inspirante
Alors que les établissements médico-sociaux et autres évènements festifs adoptent petit à petit la réduction des risques (RDR) liés à la consommation de drogues, ce modèle de prévention est appliqué bien en amont dans les rave et free party : « Dès le début des années 90, dans le milieu techno, les organisateurs et le public ont décidé de se prendre en main pour faire passer ce genre de message de prudence et d’information, sans jugement ni dogmatisme. Certains se sont constitués en association comme Techno+, le Tipi ou Keep Smiling. Dès 1995, ces associations ont commencé un travail d’information et de reconnaissance de cette stratégie. Elle est devenue de nos jours une politique de santé publique reconnue et soutenue par les pouvoirs publics. Depuis 2004, des CAARUD, qui sont des établissements médico-sociaux destinés à accueillir des usagers de drogues, sont venus renforcer cette politique en intervenant en milieu festif. Tous ces organismes ont développé des outils d’information (flyers) et des techniques d’intervention qui font leurs preuves depuis 20 ans » explique l’association Freeform.
La prévention, la liberté individuelle et le non jugement sont au coeur de cette démarche visant à informer et sécuriser au maximum la prise de substances. La consommation de drogues est interdite par loi, cette prohibition est cependant illusoire. La répression et la menace de sanctions ne fonctionnent pas. Dans son dossier « Drogues : le vrai du faux », Fédération Addiction incite aux nuances et à une profondeur réflexive sur le sujet : « Personne ne nie que consommer des drogues comporte des risques… mais l’histoire nous enseigne qu’une société sans drogue n’existe pas ! Il faut combattre les effets délétères (surdose, dommages psychologiques et sociaux, etc.) mais cela nécessite une approche de santé et un accompagnement des personnes. Les faits sont têtus : malgré une politique plus répressive qu’ailleurs, la France consomme plus de drogues que ses voisins. Ce qui laisse de nombreuses personnes dans la dépendance et profite aux trafics du crime organisé ».
Les risques liés à la consommation de drogues dans les évènements type rave ou free party ne sont pas plus élevés qu’ailleurs. La prise de substances comporte des risques dans chaque milieu dans lesquels elle est consommée et c’est la manière dont celle-ci sera abordée par les organisateurs ainsi que par les autorités – en considérant l’individu comme une personne responsable – que ces risques pourront être atténués.
Un public hétérogène contrevenant aux idées reçues
Les rave et les free party ne sont pas réservées à une jeunesse pauvre et esseulée en quête de limites. Si une identité collective se construit à travers une communauté qui se reconnaît dans les valeurs portées par ces modes festifs et alternatifs, il n’existe pas un profil-type du teufeur.
Dans son essai analytique « La rave-party au miroir d’une sociologie du sujet », Ingrid Voléry souligne l’hétérogénéité des profils dans les raves : « Pourtant, observée dans le détail, la pratique de la rave ne s’épuise pas dans les rôles sociaux assignés à la jeunesse. En effet, des individus âgés de plus de trente ans, ou des personnes plus jeunes mais engagées dans des vies conjugales, parentales, professionnelles, la pratiquent de façon plus ou moins occasionnelle. […] Du côté des positions sociales des raveurs, là encore, la chose est complexe puisque les profils des individus sont très hétérogènes. On y rencontre à la fois des personnes issues de milieux populaires et d’autres, de milieux plus aisés. Plus fondamentalement d’ailleurs, aux dires des pratiquants, la « vraie rave » est celle qui s’attache à brouiller tous les repères sociaux habituels (prix de l’entrée, déroulement dans des lieux non marqués socialement).»
Mouvances Libres, média alternatif au service des cultures alternatives, a publié un article engagé sur les teufeurs en 2016, des participants dérangeants car ils ne sont pas socialement catégorisables. Cet article reste néanmoins d’actualité au vu des nombreux articles publiés concernant les interdictions et l’intervention des forces de l’ordre pour faire cesser ces fêtes toujours plus nombreuses.
Lieux de convergences sociales et culturelles, les rave et les free party traduisent un besoin de plus en plus croissant de s’affranchir d’un mode de vie parfois aseptisé dépourvu d’espace concret d’expression et de liberté. Leur multiplication et l’augmentation du nombre de participants invitent à se questionner sur l’idéal de vie promu et l’envie d’en sortir.
Ressources :
– Basta! média indépendant propose un dossier et une analyse sur les free party, de la réduction des risques à la répression, les thématiques abordées permettent de dresser un état des lieux : FreeParty | articles et analyses par Basta!
– Pour Misk, Inès Ben Azouz retrace la première rave partie de l’histoire : Update. La première rave party a eu lieu en 1518
– Sur le site Technoplus, vous trouverez l’actualité juridique concernant la culture free, les moyens de se prémunir de la répression ainsi que tous les outils pour un consommation à moindre risque en milieu festif : Techno+ – Freeparty Santé Drogues Politique
– Le média Tsugi met en lumière un documentaire « saisissant » sur l’univers des free party : La free party au cœur d’un documentaire saisissant – TSUGI
– Howard Becker, sociologue de référence dans l’étude de la déviance, a écrit « Outsiders, études de sociologie de la déviance » (1963) disponible aux éditions Métailié et sur Cairn : Outsiders | Cairn.info
– Emile Durkheim, figure de la sociologie, propose dans son ouvrage « Les règles de la méthode sociologique » (1894) un chapitre sur la différenciation entre le normal et le pathologique. Un résumé de l’ouvrage est disponible sur Les classiques des sciences sociales: Émile Durkheim: Les règles de la méthode sociologique.
– L’artiste Julie Hascoët dans son projet « architecture de la fête », de la teuf, a photographié le quotidien des free et rave party : Architecture de la fête : JULIE HASCOËT. Son projet « Murs de l’Atlantique » également sur l’univers des free et rave party est au coeur d’un article publié par Fisheye Magazine : Julie Hascoët : entre rave et réalité, la jeunesse fait le mur