En ces temps troublés, où les passions collectives mènent bon nombre d’entre nous à succomber à l’appel de l’intolérance et du chaos, il est plus que jamais nécessaire de tendre la main à autrui. L’ignorance ainsi que le manque d’empathie conduisent souvent au rejet de ceux qui nous semblent différents, alimentant peurs et préjugés. Quoique vous invite à un exercice : vous mettre dans la peau de cet “autre”, afin de mieux comprendre ses réalités.
Le 03 juillet 2024, par Josépha Le Sourd Le Clainche et Esther Benezech
Vous serez appelés « les migrants », “les autres”, tels des envahisseurs. Peu importe votre nom, votre prénom et votre histoire. Les caméras vous montreront au milieu d’une foule pour effacer votre individualité. Vous faites partie d’une masse et non des êtres humains. Une association entre les notions de foule et de sauvagerie s’appliquera, afin de vous déshumaniser et de donner l’illusion que vous êtes au sein d’une meute ingérable. Vous serez l’ennemi à abattre. Pourtant, vous n’êtes pas là pour faire du tourisme, c’est un voyage forcé et contraint.
Rester ou fuir : ce non-choix
Imaginez un instant…
Vous fuyez un pays ravagé par la guerre civile. Chaque jour, des explosions retentissent au loin, tandis que votre famille vit dans une peur incessante. Un matin, la nouvelle de la mort d’un voisin, tué lors d’un bombardement, vous pousse à prendre la décision déchirante de quitter votre foyer, votre pays pour sauver votre vie et celle de vos proches.
Qu’éprouveriez- vous en abandonnant votre maison, vos amis, votre travail, en laissant derrière vous, toute votre existence ?
Vous vous engagez dans un périlleux périple, traversant des contrées hostiles, vous dissimulant dans des camions, risquant votre vie sur un bateau de fortune. Vous êtes témoins de noyades, des images qui vous suivront et vous hanteront nuit et jour. La faim, la soif, et l’épuisement deviennent des compagnons quotidiens.
Comment géreriez-vous cette angoisse permanente ?
Après des mois d’errance, vous parvenez enfin à un pays que vous espérez accueillant, mais la réalité s’avère tout autre. Vous ne parlez pas la langue, vous n’avez pas de papiers, ni logement, ni travail. Les regards méfiants vous suivent dans la rue. Certains vous intimident et vous enjoignent de rentrer chez vous.
Quelle serait votre détresse face à un tel rejet ?
Vous fuyez un pays où vous vivez dans la précarité financière pour venir en France et espérer manger à votre faim, envoyer de l’argent à la famille, accéder aux soins, car l’argent conditionne tout. En réalité, en France, les aides seront conditionnées et vous devrez absolument tout prouver puisque comme vous êtes étranger, la suspicion que vous soyez un voleur est incessante. Si vous demandez plus, on vous répondra qu’il ne faut pas abuser, vous avez déjà bien de la chance d’être en France, de quoi vous plaignez-vous. Vous serez partagé entre votre volonté d’avoir une vie meilleure, de demander à être considéré avec dignité, et la pression de vous taire, de souffrir en silence et finalement de ne pas vous plaindre parce que les aprioris qui circulent à votre sujet seront en partie intériorisés. Vous serez mis en concurrence avec les “vrais français”, ceux qui se revendiquent d’être de “pure souche” alors que leur généalogie prouve le contraire et que cette idée de pureté chauvine n’est qu’illusion. Les droits accordés aux uns n’enlèvent pas ceux accordés aux autres mais on va vous faire croire que vous voulez les prendre et que vous ne visez pas l’égalité. Vous serez affichés comme ceux qui viennent pour rapter le travail, le logement, la nourriture et le pouvoir d’achat. Pourtant, ce pouvoir d’achat vous n’en aurez pas plus.
Que feriez-vous si des perspectives d’avoir une vie meilleure pour vous et votre famille vous étaient promises ?
Vous fuyez un pays où votre corps a été mutilé, où vous avez été violé(e), mis(e) à disposition des uns et des autres. Physiquement et psychiquement, vous êtes épuisé(e) et détruit(e). En France, le risque que cela se répète est bien réel, selon la nature de la dette contractée pour atteindre ce lieu d’accueil censé être un refuge. Le problème est que ce sentiment de sécurité, vous mettrez du temps à le retrouver, ou peut-être que vous ne le ressentirez plus jamais. Votre corps vous rappellera tous les jours ce qu’il a subi, les stigmates physiques et psychiques seront présents en surface et mentalement.
Vous fuyez un pays où votre orientation sexuelle ou votre identité de genre est un déshonneur, une honte qu’il faut taire. Vous êtes pointé du doigt, vous risquez votre vie lorsque vous vous autorisez à être vous-même. Pour survivre, vous taisez la vérité, à l’intérieur, vous mourrez. Arrivé en France, vous vous rendez compte que les communautés LGBTQIA+ sont actives pour leurs droits mais depuis peu, le nombre d’agressions et d’attaques à leur encontre augmente de jour en jour.
Comment vous sentiriez-vous ?
Pas de repos pour les braves
Sur le sol français, vous devrez tout faire pour mériter votre présence. Mineur ou majeur, vous aurez une charge de démarches administratives à faire. En tant que mineur, vous devrez faire deux fois plus d’efforts comme tous les enfants en institution. Pas le temps de vivre votre adolescence, pas le temps d’avoir des fragilités propres à votre âge et à votre jeunesse, pas le temps d’être vulnérable, il est impératif de s’insérer. En tant que majeur, vous ne serez pas en reste, vous devrez en faire tout autant car l’OQTF (Obligation de quitter le territoire) sera un risque qui vous suivra comme votre ombre. Elle vous guettera, si elle tombe, vous serez en hypervigilance, vous vous cacherez en permanence. Puis, si vous vous faites arrêter, vous irez dans un centre de rétention administratif (CRA), il ne porte pas le nom mais c’est une prison. Là encore, vous allez attendre, sans vous reposer. Vous allez redouter ces moments où vos droits seront bafoués avant un éventuel retour dans un pays que vous avez fui.
Imagineriez-vous être obligé de retourner dans un pays où votre vie est en danger ou auprès de votre bourreau ?
Alors, vous allez remplir des formulaires, faire des copies, vous familiariser avec internet et les différentes formes de demandes qui existent entre l’asile, les titres de séjour, les autorisations de séjour exceptionnelles…etc. Du temps d’attente, vous en aurez. Vous angoisserez constamment. Vous garderez précieusement la preuve du dépôt de votre demande au cas où vous vous faites contrôler. Les discours varient, plus le temps d’attente est long, plus c’est bon signe ou alors c’est le contraire. Pas la peine d’appeler les institutions, elles ne vous répondront pas que ce soit par mail, par téléphone ou pigeon voyageur. Vous allez développer une réelle compétence dans l’accumulation de papiers au cas où il faudra prouver que vous avez raison et qu’ils ont tort. Tous vos comportements, vos agissements et vos mots seront passés à la loupe. Si votre interlocuteur estime que votre récit est peu crédible, il pourra décider que vous mentez. Votre minorité, votre traumatisme, les violences subies seront passés au crible et interprétés.
Ne voyez-vous pas des similitudes entre les difficultés et la manière dont sont traités ces hommes, ces femmes et ces enfants avec votre situation ?
Catégoriser pour mieux vous “hainer”
Si un crime ou une agression est commis, la première hypothèse sera « le migrant » du coin, vous. On n’oubliera pas de mentionner votre nationalité car en fonction de celle-ci, votre haut potentiel criminel ou délinquantiel déclenchera toutes les alertes. Si vous êtes arabe, alors vous êtes forcément musulman et donc l’étiquette de “terroriste” éventuel sera collée à votre peau. Vous allez subir les amalgames et l’islamophobie en permanence. Si vous êtes africain, vous entendrez des remarques, vous observerez des comportements à votre égard emplis de racisme et de supériorité rappelant ce colonialisme dont la pensée se perpétue et revient au devant de la scène. Si vous êtes juifs, des raisons de vous détester et de réveiller vos blessures seront facilement trouvées. Votre religion, votre couleur de peau, votre nationalité, toutes ces données seront prétexte à hiérarchiser votre dangerosité ou le degré de confiance à vous accorder. Ce degré de confiance restera minime, on ne sait jamais.
Comment vivriez-vous au quotidien cette image véhiculée à votre sujet alors qu’elle ne reflète en rien votre personne ?
Il est tentant de chercher un coupable, une cible sur laquelle projeter nos frustrations et nos peurs. Cet “autre” devient alors le bouc émissaire idéal. En pointant du doigt l’étranger, nous faisons le choix d’une échappatoire commode nous dispensant d’un examen de conscience parfois inconfortable. Or, il serait illusoire de croire que l’immigration en France connaîtra une diminution significative malgré les discours politiques. Les droits des immigrés se verront quant à eux réduits.
Imaginez un instant, vous vivez une situation de rejet , où vous luttez pour survivre, et face à vous, des citoyens du monde, convaincus d’avoir davantage de droits sur vous parce qu’ils sont nés sur cette terre d’accueil, viennent limiter encore plus vos droits.
Ne seriez-vous pas anéanti et réduit à une existence déshumanisée ?
Et pourtant,
Et pourtant, vous ne vous en rendez plus compte, car votre estime de vous-même est profondément affectée, mais vous avez tant de belles choses à apporter : votre personnalité, votre histoire, vos goûts, votre humanité et tout ce que vous représentez mérite d’être partagé, car vous faites partie de ce qu’est la France aujourd’hui. Cette France multiculturelle où découvrir l’Autre est une opportunité sur tous les plans. En réalité, vous êtes une richesse. Une richesse pécuniaire pour l’État et les entreprises car sans vous, les métiers en tension le seraient encore plus. Certains d’entre vous vont d’ailleurs y laisser leur vie car elle vaut moins que le profit. Vous serez le Graal pour certains entrepreneurs et artisans qui se battront pour vous garder, vous obtenir les meilleures conditions et feront tout pour que vos démarches de régularisation fonctionnent. Une richesse pour nous, car c’est dans la rencontre avec l’autre, celui qui ne nous ressemble pas, que nous apprenons le plus sur nous-même et sur le monde qui nous entoure. Nombreux sont ceux qui le savent: associations, bénévoles, particuliers, personnalités, certains médias…qui ont à cœur d’ouvrir leurs portes et de lutter contre toute forme de discrimination.
Ne seriez-vous pas soulagés de croiser sur vos routes un peu d’humanité ?
Ces questions vous laissent indifférent, car il vous semble impossible que cela puisse vous arriver un jour ?
Et pourtant, nombreux sont ceux qui peuvent en attester: l’avenir est incertain. Les situations écologique, sociale, économique ou politique pourraient un jour vous contraindre à quitter votre région ou votre pays. Adieu vos traditions, votre terroir, vos proches. Au revoir ces paysages d’enfance, votre maison et toutes ces choses qui constituaient votre “chez vous”. Alors, vous rencontrerez des pays d’accueil réfractaires à votre arrivée dont certains n’auront aucun problème de conscience ou d’éthique à vous utiliser pour véhiculer des messages politiques haineux à votre sujet.
Et si c’était vous cet “autre”, que l’on regarde de loin comme un virus étranger ? Ne souhaiteriez-vous pas que cet « autre”, celui qui vous accueille, vous considère comme un égal, un être humain et vous offre un peu de douceur et d’espoir ?