Doux souvenirs cristallisés, éclats de sucre multicolores, délices arc-en-ciel, les bonbons s’érigent en gardiens d’une enfance éternelle, faisant vibrer la corde sensible des petits comme des grands. Ces parenthèses sucrées et nostalgiques créent pourtant des tensions chez Maguy, mère de trois enfants, qui s’interroge sur la place du bonbon dans le quotidien de nos chérubins. Telles des sirènes sucrées, ils les attirent à chaque occasion.
Le 25 novembre 2024, par Esther Benezech
Elle a grandi bercée par les mélodies intemporelles de « Mistral Gagnant » de Renaud, « Les bonbons » de Jacques Brel, ou « Place de la République » de Cœur de Pirate. Ces chansons ont forgé son imaginaire, tout comme les douceurs évoquées dans leurs paroles. Car les bonbons, elle les adore. Elle se décrit volontiers comme une gourmande assumée de ces petites friandises. Pourtant aujourd’hui, une ambivalence s’installe en elle : Maguy s’interroge sur la fréquence à laquelle ses enfants y sont exposés. « Mon fils Andréa, 5 ans, fait du jujitsu. À la fin de chaque séance, son coach lui donne un bonbon. Après chaque match de foot, même chose : un bonbon de l’entraineur. Bien sûr Andréa est heureux, mais je m’interroge : est-ce le bon endroit pour en distribuer ? Associer le sport à une récompense sucrée ça me dépasse un peu. » Son constat ne s’arrête pas là. Lors d’une visite chez le coiffeur avec sa fille, cette dernière se voit offrir un bonbon. Au point relais pour retirer un colis, même scénario, un bonbon offert par le vendeur. À l’école, c’est au tour des camarades de classe d’apporter des friandises pour fêter leurs anniversaires. En seulement trois semaines, Maguy a compté quatre anniversaires où des bonbons ont circulé en classe. « Le pire, c’est que je n’ai moi-même acheté aucun bonbon, et pourtant mes enfants en consomment plusieurs fois par semaine. » confie-t-elle.
Une réalité moins poétique : le sucre
« Le sucre, c’est comme un loup déguisé en agneau. Il menace leur santé. Je n’ai pas envie que mes enfants prennent l’habitude d’en manger trop régulièrement. Que sommes-nous en train de générer ? une génération accro au sucre. » Consciente du ton parfois jugé alarmiste de ses propos, elle poursuit : « Alors, je sais, cela peut faire discours de vieux con, mais je pense que c’est un sujet à mettre sur la table. On parle de plus en plus d’obésité, de dépendance au sucre. Certes, le bonbon est synonyme de récompense, de plaisir, mais à long terme, à ce rythme, cela ressemble davantage à un cadeau empoisonné. »
Vision à court ou à long terme ?
Maguy s’est amusée à déconstruire les formules toutes faites qui justifient la distribution de bonbons. « Un petit bonbon ne fait de mal à personne » entend-elle régulièrement. « Pris isolément, c’est sûr, un bonbon ce n’est pas grand-chose. Mais c’est la somme de tous ces gestes individuels qui conduisent à l’excès. Que faire ? Sensibiliser mes enfants ? Ils savent déjà que ce n’est pas bon pour leur santé. Mais ils aiment en manger. Alors pour éviter qu’ils les mangent en cachette, j’accepte qu’ils consomment les bonbons qu’ils reçoivent. Je peux fixer des règles, comme attendre l’heure du goûter, mais cela reste limité. D’autant plus que c’est un « cadeau » qu’une personne leur a offert. Je ne me vois pas leur confisquer. »
« Un petit bonbon, ca fait toujours plaisir, non ? » est la phrase qui accompagne souvent cette offrande. Elle est destinée à l’adulte qui accompagne l’enfant car celui qui offre sait pertinemment que son geste n’est pas idéal. En invoquant le plaisir, il désarme toute opposition. L’intention est bienveillante. Qui oserait contrarier cela?
Maguy ne sait pas si un retour en en arrière est envisageable, mais si elle témoigne, c’est parce qu’elle pense important que nous prenions conscience de cela. Pourquoi appâter ou récompenser l’enfant de façon presque systématique par un bonbon ? J’entends les propos de certaines personnes de mon entourage qui me diraient : « Maguy, ne te prends pas la tête, on a qu’une vie. Ce n’est pas grave ! » Mais où va t-on avec ce type de discours ? Cette « philosophie » du lâcher prise qui prône l’instant présent et le refus de la culpabilité soulève selon elle, des questions lorsqu’il s’agit d’éducation ou de santé publique : car oui, le stress et les exigences sont partout aujourd’hui, profiter du moment c’est important. Mais en adoptant uniquement cette vision, on minimise les conséquences sur du long terme de choix répétés. Maguy ne souhaite pas diaboliser le bonbon, mais plutôt interroger les automatismes sociétaux. De ce fait, la logique du carpe diem ne compromet -elle pas d’autres enjeux essentiels ? Les petites habitudes d’aujourd’hui façonnent la société de demain. En matière de nutrition, d’éducation, de consommation, ignorer les conséquences potentielles peut revenir à transmettre des comportements problématiques. Selon Maguy, la légèreté ne doit pas évacuer la réflexion. Banaliser certains comportements à impact négatif s’inscrit dans une dynamique à court terme.
Maguy pense également que l’industrie agro-alimentaire, en normalisant l’idée que le sucre est synonyme de réconfort, de bonheur, ancre cette perception, et rend alors difficile toute critique. S’opposer à ce discours ne revient pas à faire la morale selon elle, mais à exercer une responsabilité parentale, celle de s’interroger sur l’impact de chaque petit geste. Elle souhaite ainsi redonner un sens aux choix que l’on fait.
La récompense dans le paradigme éducatif
« Et puis, il y a quand même une contradiction dans notre discours d’adultes. Nous apprenons aux enfants à ne pas accepter de bonbons d’un inconnu, pour des raisons de sécurité. Mais ce discours a-t-il encore un sens quand tant d’adultes leur en donnent spontanément dans un élan de convivialité ou de générosité ? Et que dire d’Halloween ? Nous incitons nos enfants à aller frapper aux portes d’inconnus le soir pour un bonbon ou un sort ! » Maguy a apprécié l’enthousiasme de ses voisins qui ont joué le jeu. Ces enfants sont rentrés chez eux les bras chargés de friandises. En observant les seaux débordants, Maguy n’a pas pu s’empêcher de s’interroger sur cette notion de « faire plaisir » et de récompense. Selon elle offrir un bonbon, revient souvent à poursuivre une logique : apaiser, satisfaire ou éviter toute frustration chez l’enfant. Cela peut également servir à le féliciter ou, dans le cadre d’une fête à répondre aux attentes implicites de la tradition.
« Tu l’as bien mérité après tous ces efforts ! » « Je ne suis pas pédagogue, mais je pense que la frustration aide à se construire, et qu’un enfant est principalement dans la recherche du plaisir et que nous en tant qu’adultes nous devons l’aider à lui faire comprendre que la réalité ce n’est pas que du plaisir. » Maguy craint que cette pratique induisent des comportements conditionnés, où l’enfant s’attendrait à une gratification immédiate pour chaque action. « Sommes-nous en train de créer des êtres dépendants de récompenses matérielles pour agir ? « C’est une récompense pour ton bon comportement. » en est une belle illustration. Maguy ne rejette pas pour autant le principe de récompense. Elle estime simplement que celle-ci pourrait être envisagée autrement, sous forme immatérielle comme un compliment, une activité partagée, ou un moment de qualité. « Et puis, n’évoque-t-on pas souvent la figure de l’enfant-roi ? Ce genre d’habitude ne fait-il pas le lit de cette tendance ? L’enfant-roi dont les désirs sont non seulement exaucés instantanément, mais parfois même devancés par l’adulte qui offre, avant même que l’enfant n’en formule la demande. »
« Peut-être que nous ne pouvons pas tout changer, mais réfléchir c’est déjà un premier pas. C’est peut-être déjà là que l’on peut faire un cadeau à nos enfants, leur permettre de considérer le bonbon comme une poésie, une occasion spéciale, plutôt qu’une habitude renforçant leur travers. »
Ressources:
– Récompenser plutôt que punir – Extrait vidéo La maison des Maternelles
– Le livre Éduquer sans punir de Thomas Gordon