ÉCOLE : « ET SI MON FILS N’AVAIT PAS DE TROUBLE ? »

You are currently viewing ÉCOLE : « ET SI MON FILS N’AVAIT PAS DE TROUBLE ? »
Temps de lecture : 4 minutes

LETTRE OUVERTE À UNE INSTITUTRICE

Dans cette lettre ouverte, Julie D. s’adresse à l’enseignante de son fils de grande section. Elle exprime son désarroi face à une école parfois trop prompte à suspecter des troubles là où il y a simplement une personnalité en devenir.

Le 29 mars 2025, par Esther Benezech

Madame,

Pour rien au monde, je ne souhaiterais exercer votre métier. Trop de bruit, trop de discipline à faire respecter, trop de responsabilités dans la gestion de groupes d’enfants encore en construction, tous vulnérables à leur manière… Votre quotidien est à la fois dense, épuisant et crucial. Et c’est précisément parce que je mesure la complexité de votre mission que je prends aujourd’hui la plume.

Car malgré toute la confiance que je m’efforce de vous accorder, je suis profondément interpellée, voire même agacée, par le nombre de remarques négatives consignées dans le cahier de mon fils Oscar, en grande section de maternelle. Soyons clairs : je ne prétends pas qu’il soit un enfant de chœur. Il peut, comme beaucoup à son âge, mal gérer la frustration, couper la parole, se montrer parfois maladroit, voire excessif. Mais si je me contentais de ces constats, je ferais abstraction d’un pan essentiel de sa personnalité : son appétit insatiable d’apprendre, sa sensibilité, sa bienveillance à l’égard des autres, son goût manifeste pour les responsabilités, qu’il sollicite d’ailleurs spontanément. Tout cela, pourtant, est bien réel. Où en est-il fait mention ? Où est-il valorisé ? Quelques bons points isolés ne suffisent pas à refléter cette complexité. Ils viennent juste timidement attester d’un comportement jugé conforme. C’est peu, trop peu, pour rendre justice à sa richesse intérieure.

Madame, je vous le demande avec respect : le fait qu’un enfant de cinq ans ait besoin de se canaliser fait-il de lui un cas ? Une anomalie ? Un sujet à diagnostiquer ? Faut-il que cela déclenche l’intervention d’une enseignante spécialisée, qu’il soit orienté vers un bilan de motricité, qu’on évoque, à demi-mot, l’éventualité d’un trouble tel que le TDAH ? Je m’inquiète que l’on applique à son comportement une grille de lecture qui, bien qu’utilisée par des professionnels compétents, puisse parfois induire des biais de confirmation, à force de chercher ce qui ne va pas. L’évocation possible d’un TDAH m’interroge. Pas dans leur intention, mais dans leur systématisation. Un enfant « trop » devient-il aussitôt un enfant « à évaluer » ? Ne courons-nous pas, collectivement, le risque de voir des troubles là où il y a simplement du tempérament, de la vivacité, du mouvement ?

Car ce que nous avons vécu, c’est une mise en question rapide et insistante du comportement de notre fils, conduisant à des démarches. Celles-ci nous ne les avons pas rejetées d’emblée ; nous avons joué le jeu avec sérieux. Nous avons consulté une psychologue : aucun trouble décelé. Un psychomotricien : rien à signaler. Concentration, respect des règles, motricité, impulsivité : tout est dans la norme. Aucune alerte sur l’attention, ni sur l’impulsivité, ni sur le respect des consignes. Il peut rester concentré plus d’une heure à faire un puzzle, jouer tranquillement dans sa chambre, partager une après-midi entière avec des camarades sans incident. À la maison, il respecte les consignes du quotidien : s’habiller, se laver, ranger… Rien ne semble corroborer l’hypothèse d’un trouble nécessitant une prise en charge spécifique.

Je tiens ici à préciser une chose essentielle : je ne remets nullement en cause l’utilité des bilans, ni la pertinence de certaines orientations lorsqu’un véritable trouble du développement ou de l’attention est suspecté. Identifier précocement un trouble permet, pour de nombreux enfants, une prise en charge adaptée et bienfaisante. Mais attention : encore faut-il que ce diagnostic s’appuie sur une observation approfondie, diversifiée, croisée et non sur une grille unique ou sur un regard parfois trop centré sur la conformité.

Malgré les retours rassurants de professionnels, le doute semble persister de votre côté. Vous souhaitez mettre en place des dispositifs à partir de grilles. Oscar continue d’être parfois privé de récréation ou d’activités physiques, alors même que son besoin de mouvement est évident et que vous suspectez une hyperactivité. Je ne comprends pas. Il existe d’autres approches me semble t-il, comme permettre à un enfant de sortir plusieurs fois en extérieur pour s’apaiser, qui semblent porter leurs fruits ailleurs. Pourquoi ne pas envisager des alternatives plus respectueuses de sa nature et de ses besoins ?

À l’heure où l’Éducation nationale traverse une crise sans précédent, où les moyens manquent cruellement, où les enseignants sont à bout de souffle, il est souvent reproché aux parents de ne pas soutenir l’école. Permettez-moi de dire que ce n’est pas notre cas. Nous avons toujours cherché à être présents, disponibles, réactifs, à remettre en question nos fonctionnements. Nous avons suivi les recommandations, répondu aux convocations, engagé les bilans demandés. Nous avons joué le jeu, sincèrement. Mais force est de constater qu’un déséquilibre s’installe. Quand l’écoute est à sens unique, quand la suspicion devient systématique, alors il nous faut dire stop. Respecter l’école ne signifie pas tout tolérer. Ni pour nous, ni pour notre enfant.

Je ne cherche pas, à travers cette lettre, à dénigrer votre profession ni à contester votre autorité. Je souhaite simplement attirer votre attention sur les dérives possibles d’une volonté, pourtant bien intentionnée, de détecter et catégoriser les « écarts à la norme ». Tous les enfants ne se développent pas de façon linéaire, ni selon le même tempo. Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils relèvent d’un diagnostic, encore moins qu’ils doivent être stigmatisés.

Enfin, permettez-moi d’évoquer un point souvent négligé mais fondamental : l’ergonomie et la sensorialité de l’espace de classe. Une salle exiguë, saturée de stimuli visuels, avec du mobilier peu adapté à la morphologie des enfants, une trentaine de personnes dans un même espace, une fatigue ambiante… tout cela peut générer des comportements d’agitation qui ne relèvent pas d’un trouble, mais d’une simple réaction humaine à un environnement surstimulant.

Oscar est un enfant. Avec ses élans, ses maladresses, ses forces et ses fragilités. Il n’est pas encore totalement adapté au système ? C’est vrai. Mais est-ce à l’enfant de s’adapter coûte que coûte ? Ou n’est-il pas aussi du devoir des adultes de faire un pas vers lui, de l’accueillir tel qu’il est, avec patience et lucidité ?

Je crois que nous avons, ensemble, à éviter un piège : celui de la stigmatisation précoce. Celui de la case trop étroite dans laquelle on enferme trop vite. Celui de la lecture unique, alors que chaque enfant mérite d’être regardé dans sa globalité.

Je vous remercie et vous assure de ma volonté sincère de dialogue, dans l’intérêt de mon enfant et de tous les autres.

Julie D.

Ressources : 

Nos enfants sous microscope par Emmanuelle Piquet et Alessandro Elia. Ce livre critique la tendance à poser des diagnostics précipités chez des enfants, avec le risque de figer les comportements dans des étiquettes. Il met en garde contre l’effet Golem, où un diagnostic peut devenir une prophétie autoréalisatrice.

–  » Le Trouble du Déficit de l’Attention avec Hyperactivité (TDAH) est l’un des diagnostics les plus courants dans le domaine de la santé mentale chez les enfants. Toutefois, une préoccupation grandissante émerge au Québec quant au surdiagnostic de ce trouble, en particulier chez les plus jeunes élèves » Institut Neurosens – Halte au surdiagnostic du TDAH !

Recommander ce contenu