LILI,CAISSIÈRE ET DÉLÉGUÉE SYNDICALE EN BELGIQUE

You are currently viewing LILI,CAISSIÈRE ET DÉLÉGUÉE SYNDICALE EN BELGIQUE
unsplash- Chris Liverani
Temps de lecture : 6 minutes

La Belgique se distingue par un taux élevé de syndicalisation, ainsi qu’une tradition de concertation sociale. Des décisions sont prises conjointement par les syndicats et les employeurs, grâce à un dialogue social institutionnalisé et structuré. Lili, déléguée syndicale dans une grande surface à Bruxelles, témoigne de la présence de ce dialogue au sein de l’entreprise.

Le 24/06/24, par Esther Benezech

« Je viens d’être réélue après quatre ans d’un premier mandat. Les missions me plaisent. Écouter mes collègues, chercher des solutions, accompagner. J’aime ça. » Avec plus de vingt ans d’expérience dans la même grande surface, Lili a occupé divers postes, mais ces dernières années, elle exerce en tant que caissière. Avant de devenir déléguée syndicale, elle admet être restée relativement discrète et peu connue de ses collègues. Désormais, son rôle dans le magasin a évolué : elle est investie d’une mission. Chaque jour depuis quatre ans, elle rencontre ses collègues, échange avec eux et les assiste en cas de besoin. Ses responsabilités sont variées : expliquer les bulletins de salaire, soutenir un collègue dans ses démarches de renouvellement de contrat, participer à des réunions avec le gérant pour faire le point, gérer les plaintes et résoudre les conflits, entre autres.

Les missions d’une déléguée syndicale dans une entreprise belge

« Dans le cadre de mon contrat, j’ai droit à trois heures par semaine durant lesquelles je ne suis pas à la caisse, mais où je suis libre de discuter avec tout le monde. Ces heures peuvent être utilisées en cas de problème ou pour aller à la rencontre de mes collègues. Je peux aussi les recevoir dans une salle dédiée. Par exemple, une étudiante m’a informée qu’elle n’a pas été correctement rémunérée ce mois-ci. Je lui ai demandé si elle avait consulté sa fiche de paie, ce à quoi elle m’a répondu non, ajoutant qu’elle travaille ici depuis un an et qu’elle ne l’a jamais reçue, sans jamais la réclamer. En fait, certains collègues ont du mal à comprendre leur bulletin de salaire ou ne connaissent pas bien leurs droits. »

Les salariés, en cotisant à un syndicat à hauteur de 60 euros par trimestre, acquièrent le droit de faire appel aux délégués pour les renseigner et les représenter. Pourtant, certains expriment des appréhensions à demander de l’aide, invitant alors Lili à aller à leur rencontre. Certains collègues préfèrent s’adresser en privé au délégué, en quête d’anonymat, par crainte, non pas d’être licenciés, mais plutôt d’être jugés défavorablement par leurs pairs, estime-t-elle.

L’équipe syndicale dans cette entreprise se compose d’un permanent, de représentants itinérants répartis par zone géographique, et de délégués syndicaux actifs dans les magasins. Lili peut faire appel à son itinérant ou au permanent si elle rencontre des situations complexes. Chaque équipe syndicale est associée à une tendance politique spécifique. En Belgique, les trois principaux syndicats sont la FGTB, syndicat socialiste, la CSC, syndicat affilié au mouvement chrétien et la CGSLB, orienté vers les travailleurs indépendants et les employés de PME. Lili se doit de défendre prioritairement les membres du personnel affiliés à son syndicat, ce qui est parfois complexe : « Il m’arrive de devoir gérer des conflits entre collègues. Ce qui est compliqué c’est lorsque je dois défendre des employés affiliés à mon syndicat, même si je pense qu’ils ont tort sur le sujet de la discorde. De même, il m’est souvent ardu de soutenir mes collègues lorsqu’ils ne se comportent pas de façon professionnelle. Par exemple, lorsqu’un collègue ne respecte pas les horaires, ou prend trop de pauses, je peux difficilement trouver des arguments pour l’aider dans son renouvellement de contrat. Cependant, je dois quand même le défendre. »

Dialogue social entre employeurs et employés

Dans les faits, une fois par mois, Lili rencontre le gérant du magasin pour discuter des situations rencontrées. Cette réunion de concertation permet d’aborder des points qu’elle a recueillis, tels que les plaintes au sujet des horaires ou bien des jours de travail. Le dialogue social est un processus de communication et de négociation entre les employeurs et les employés ou ses représentants, visant à parvenir à des accords ou à des solutions concernant divers aspects du travail : discussions sur les conditions de travail, les salaires, la sécurité au travail, la formation professionnelle et d’autres sujets relatifs aux intérêts communs des deux parties. Lors de ces rencontres, Lili ne nomme pas les personnes concernées, sauf si elles le souhaitent. Elle est tenue à la confidentialité, tant vis-à-vis des salariés que du gérant. Toutefois, elle transmet ces informations à l’itinérant car il peut la guider. Les situations rencontrées sont diverses. « J’ai par exemple soutenu une collègue qui souhaitait devenir assistante manager, malgré le scepticisme du gérant. J’ai insisté pour qu’elle passe des tests. Et elle a très bien réussi. »

Les réunions avec le gérant se font dans le dialogue. Lili prépare ses interventions. Elle estime qu’il est important de savoir argumenter, être à l’écoute et prête à défendre tous les affiliés. Le dialogue se passe sans agressivité explique-t-elle. Par contre, elle souligne l’importance de s’affirmer et de négocier en gardant en tête l’objectif premier, celui de défendre son ou sa collègue. Elle nous livre un exemple. « Chaque année, nous recevons un bon cadeau. Une collègue ne l’avait pas obtenu et, après l’avoir réclamé sans succès, elle est venue me voir. Je suis allée discuter avec le gérant, qui m’a répondu qu’elle ne l’avait pas perçu parce qu’elle était souvent malade. J’ai répliqué en disant : attendez, elle travaille ici depuis de nombreuses années et, du jour au lendemain, parce qu’elle a eu plusieurs arrêts maladies, vous décidez de lui supprimer ce cadeau ? Je trouvais cela inacceptable. » Deux jours plus tard, elle a reçu sa carte. De même, une de ses collègues souffre d’endométriose et l’avait précisé lors de son embauche. Il lui arrive de devoir s’absenter en raison de ses douleurs, et récemment, elle a reçu une lettre recommandée pour la recadrer. « J’ai expliqué au gérant que ce n’était pas honnête de leur part, car ils étaient au courant de sa situation dès le départ. Ils l’ont embauché car il est difficile de trouver du personnel de caisse en raison de la précarité des contrats. Finalement, c’est la salariée qui en pâtit. » À travers ces réunions, le gérant est amené à remettre en question des décisions et à accepter avec humilité de revenir sur certaines de celles-ci. Pour Lili, la personnalité du gérant va énormément influer le dialogue social. Certains sont plus à même d’accepter cette remise en cause. D’autres ont besoin de montrer qu’ils détiennent le pouvoir et se sentent atteint dans leur égo, empêchant ainsi de revisiter une décision. Dans l’autre sens, le délégué syndical n’obtient pas forcement ce qu’il souhaite et doit aussi l’accepter, selon Lili, à partir du moment où le choix est juste. Les personnalités, les enjeux tant pour l’institution que pour le personnel, la perception de la problématique sont autant de dimensions pouvant entraver le processus.

L’avenir des délégations syndicales 

Lili souligne l’approche systémique et collaborative entre les syndicats et les employeurs. Perçus généralement comme des partenaires indispensables dans la gestion des relations de travail, les délégués syndicaux jouent un rôle important dans le bien-être des employés et la prévention des conflits. Les réunions régulières entre représentants et employeurs, comme celles auxquelles participe Lili, visent à trouver des solutions acceptables pour les deux parties. Même si les discussions peuvent être animées, cette structure favorise une continuité des négociations, reposant sur la concertation et le compromis. 

Le taux élevé de syndicalisation en Belgique, environ 50% des travailleurs sont affiliés à un syndicat, leur donne une véritable force. Les cotisations des membres financent les syndicats, leur laissant ainsi une indépendance et une légitimité pour la négociation sociale. 

À travers son implication, Lili illustre comment un délégué syndical peut défendre les intérêts de ses collègues et contribuer à assurer une justice sociale et une équité professionnelle. Cet engagement et cet esprit de concertation forment la pierre angulaire du dialogue social belge, faisant du délégué syndical un acteur essentiel de la qualité de vie au travail des employés. 

Toutefois, Lili est inquiète, car les conditions d’institution d’une délégation syndicale varient selon le secteur d’activité et l’effectif du personnel. Le passage en franchise de certains magasins entraine une diminution, voire une disparition des délégations syndicales, interrogeant sur l’avenir des conditions de travail.

En l’absence de délégation syndicale au sein de l’entreprise, un salarié peut faire une demande d’adhésion à un syndicat externe qui pourra le représenter. Cependant, Lili, forte de ses quelques années d’expériences, s’interroge sur la manière de bien protéger les salariés si une délégation interne ne les représente pas. Elle constate que certaines personnes hésitent à solliciter un syndicat par crainte du regard porté sur eux. Elle insiste donc sur l’importance de rencontrer les salariés directement sur leur lieu de travail. Selon elle, c’est en étant au cœur de l’entreprise, aux côtés des employés, que leur protection et leur représentation peuvent être véritablement assurées.