CAPTIVITÉ DES CÉTACÉS : QUAND LA DOMINATION HUMAINE POSE QUESTION

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Photo de Chris Jones
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Depuis l’interdiction en France des spectacles avec des cétacés, le sort des orques du Marineland d’Antibes suscite une vive controverse. Ces mammifères marins, reconnus pour leur intelligence et leur culture sociale, sont sur le point d’être transférés au Japon, soulevant des questions éthiques profondes. Pourquoi nos sociétés continuent-elles de maintenir en captivité des êtres aussi sensibles pour le simple divertissement, à des fins commerciales ? Cette pratique, reflet de notre rapport de domination sur le vivant, pose un dilemme sociétal majeur, auquel répond Muriel Arnal, fondatrice et présidente de l’association One Voice.

Le 16 septembre 2024, par José Couprie

Depuis plusieurs années, le Marineland d’Antibes, plus grand parc marin d’Europe, fait l’objet de nombreuses critiques concernant les conditions de vie de ses orques. Récemment deux décès prématurés dans leur bassin ont été déclarés, à six mois d’intervalle. Après l’adoption d’une loi interdisant la captivité des cétacés à des fins de spectacle par le gouvernement français, le parc aurait trouvé un accord pour leur transfert vers un homologue japonais au lieu d’envisager une solution plus adaptée pour les deux orques survivantes.

Muriel Arnal s’inquiète de l’impact de cette décision : « Le stress sera immense pour ces animaux, déjà fragilisées par des années de captivité ». Le voyage en avion de ces mammifères aquatiques vers des conditions de vie similaires pourrait paraître comme une aberration. « Derrière cet accord, il y a de gros enjeux financiers, et on parle ici de sommes dépassant le million de dollars. » Ce « transfert », pirouette sémantique pour déguiser une vente, est un exemple flagrant de la manière dont l’exploitation commerciale des cétacés persiste.

La captivité, une souffrance justifiée par une société en quête de spectacle

Orques et dauphins sont des mammifères dotés d’une intelligence sociale et émotionnelle parmi les plus développées du règne animal. Ils possèdent un langage complexe, des cultures adaptées à des spécificités régionales, telles que des techniques de chasse. « En captivité, ces comportements complexes ne peuvent s’exprimer », déplore Muriel Arnal. « Les orques se retrouvent dans des bassins trop petits, sans réelle stimulation, et leur intelligence est sous-exploitée. C’est un gâchis immense pour ces animaux sensibles et curieux. » La captivité des orques ne permet pas seulement de nier leur bien-être physique et psychique, mais aussi de ne pas respecter leur identité culturelle et sociale. Dans les parcs marins, ils sont réduits à l’état de simples attractions.

« Nos sociétés capitalistes veulent organiser le monde pour qu’il soit confortable, divertissant, et elles cherchent à en tirer profit », explique Muriel Arnal. « Le public est fasciné par ces créatures majestueuses, et l’industrie du spectacle en profite. Mais derrière celui-ci se cache une souffrance immense. Les orques captives développent des comportements stéréotypés, rongent les parois des bassins, et souffrent d’ennui et de stress, meurent prématurément. »

Pédagogie et conservation : la façade de la bonne conscience

L’acceptation sociale de la captivité des cétacés repose en grande partie sur une méconnaissance de leur nature véritable. « Cette violence envers les animaux est tolérée car nous ne les connaissons pas », explique Muriel Arnal. Le prisme des spectacles les réduit à des créatures dociles et performantes. « La plupart des spectateurs ne réalisent pas les souffrances endurées. »

Les parcs zoologiques se justifient en affirmant qu’ils sensibilisent le public à la protection de ces espèces, mais en réalité, ils présentent une version biaisée de la nature. Elle ajoute : « Il a été prouvé que présenter des animaux captifs à des fins pédagogiques ne répond pas aux enjeux. Au contraire, on les chosifie, ce qui ne correspond pas à montrer qu’ils sont des êtres sensibles mais entretient plutôt l’idée que ce sont des outils à notre disposition. » Cette ignorance, couplée à une tradition où la domination des animaux a été normalisée, permet à ces pratiques de perdurer malgré leur cruauté sous-jacente.

Et pourquoi pas un sanctuaire pour les orques d’Antibes ?

Des victoires significatives ont été obtenues grâce à l’engagement d’associations comme One Voice. « Nous avons assisté à une adhésion du public lorsqu’il est sensibilisé. Les gradins se vident et les cirques sans animaux connaissent un succès de plus en plus important et beaucoup de ceux les exploitant ont fermé », se félicite Muriel Arnal. « Aujourd’hui, nous avons une conscientisation de la souffrance animale. Avant, c’était accepté et valorisé de dominer les animaux, surtout lorsqu’ils sont grands ou prédateurs. Que ce soit en les chassant, en les montrant ou en les dressant, la domination était la norme. » La lutte pour la libération des orques d’Antibes s’inscrit comme un symbole dans une réflexion plus large sur la manière dont nous, humains, interagissons avec le monde vivant. « Nous voulons une coexistence heureuse ! Remettre de l’équilibre dans nos relations en abolissant cette hégémonie humaine », conclut Muriel Arnal.

L’avenir des orques du Marineland reste incertain. Pour empêcher leur transfert vers le Japon, le projet de création d’un sanctuaire marin est proposé par One Voice, en collaboration avec d’autres associations comme Sea Shepherd France. Cette aire marine située au large de la côte est du Canada leur offrirait des conditions plus proches de leur habitat naturel, tout en restant sous surveillance pour assurer leur réhabilitation. « Nous voulons offrir aux orques une deuxième chance, un lieu où elles pourront retrouver une part de leur liberté perdue, tout en étant protégées des dangers qu’elles rencontreraient en pleine mer », explique Muriel Arnal. Cependant, cette solution se heurte à de nombreux obstacles, notamment la résistance du grand groupe espagnol Parques Reunidos, propriétaire du Marineland et un des principaux acteurs mondiaux du secteur des delphinariums.

Ressources :

 
 
– Le documentaire Blackfish de Gabriela Cowperthwaite. Centré sur la vie de l’orque Tilikum responsable de la mort de 3 personnes, il dénonce les dérives de la captivité et ses dangers pour les orques et les humains. Des intervenants comme John Hargrove y militent pour le maintien à l’état sauvage de ces espèces.