RADICALISATION VIOLENTE : UN PSYCHOLOGUE INVITE À RÉFLÉCHIR SUR LA MISE EN PLACE D’UNE PAIR-AIDANCE

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Robin, psychologue, intervient quotidiennement depuis plusieurs années auprès des profils dits « radicalisés » en détention et en milieu ouvert. Principalement axées sur l’islamisme radical, ses années d’exercice au sein de l’administration pénitentiaire lui ont apportées un recul et des pistes de réflexion afin de repenser l’accompagnement. Parmi celles-ci, il invite les professionnels et les institutions à penser un modèle de pair-aidance spécifiquement adapté au champ de l’ancrage idéologique lorsque celui-ci peut donner lieu à des violences politiques, inscrit dans un contexte religieux ou non.

Le 1 juillet 2025, par Josépha Le Sourd Le Clainche

Parmi les réponses à la vague d’attentats perpétrés sur le territoire français en 2015, l’administration pénitentiaire a mis en place des binômes, composés d’un psychologue et d’un éducateur, afin d’intervenir spécifiquement auprès des personnes ancrées dans la radicalisation violente. Ces professionnels interviennent en milieu fermé, en détention dite ordinaire et dans les quartiers spécifiques tels que ceux de la prise en charge de la radicalisation, ainsi qu’en milieu ouvert, c’est-à-dire hors des lieux d’enfermement. Parmi les profils, le binôme accompagne des personnes condamnées pour association de malfaiteur terroriste (AMT) et des personnes de droit commun suspectées d’adhérer à une idéologie prônant le recours à la violence. C’est dans ce contexte judiciaire, sensible et imminemment politique que Robin exerce ses missions.

Ses interventions sont, depuis la création des binômes, axées sur la question du djihadisme. « Effectivement, le Ministère de la Justice française et l’administration pénitentiaire se sont beaucoup concentrés sur le terrorisme en lien avec l’islam au cours des dernières années. Ce qui s’explique de manière très simple. Le nombre de personnes concernées par des affaires de terrorisme en lien avec l’islam, le nombre de morts générées sur le territoire, le nombre de projets d’attentats expliquent de manière logique cette approche. D’ailleurs, la plupart des politiques publiques mises en place par le Ministère de la Justice se sont construites après les attentats de 2015. C’est à partir de 2015-2016 qu’ont été créés les services de renseignements pénitentiaires, la mission de lutte contre la radicalisation violente, etc. À l’époque, la principale menace identifiée, qui l’est toujours aujourd’hui, c’est le terrorisme en lien avec l’islam.»

La question de la radicalisation commence à s’élargir à d’autres types de profils et d’idéologies violentes notamment en lien avec l’ultra droite, l’ultra gauche ou encore le complotisme. Les réflexions concernant les modalités d’accompagnement ou de prise en charge institutionnelle n’en sont, en France, qu’à leurs prémices.

Des termes utilisés et récurrents à nuancer

En sciences humaines, les notions de « radicalisation », « déradicalisation » et de « terrorisme » ont suscité d’intenses discussions. Une volonté de les définir plus précisément a émergé, bien qu’en fonction des disciplines, les prismes soient différents. Aujourd’hui, selon Robin, la définition de la radicalisation suscite moins de débats. Une large majorité converge vers la notion de processus par lequel un individu adhère à une idéologie de manière durable et de plus en plus marquée. Néanmoins, cet ancrage ne débouche pas nécessairement sur des passages à l’acte violents : « un processus de radicalisation peut s’arrêter à des actions pacifistes, à du militantisme. Ce qui fait que la radicalisation dans nos sociétés n’est en soi pas problématique. Elle doit être tolérée, puisque dans une société démocratique, il faut une liberté et une diversité d’opinions », précise Robin.

L’usage de la violence pour défendre une idéologie politique s’inscrit dans le cadre légal de ce qui définit le terrorisme. « On parle de crimes qui visent l’intimidation ou la terreur. En soi, quand un narcotrafiquant interdit l’accès à son immeuble, il pratique l’intimidation, mais ce n’est pas du terrorisme. Ce qui permet vraiment de définir le terrorisme, c’est la visée politique qu’il y a derrière. C’est pour cela que le parquet national antiterroriste ne va pas forcément se saisir d’une affaire », explique t-il.

Quant à la notion de déradicalisation, celle-ci a fait l’objet de nombreuses controverses, que ce soit sur son sens, les méthodes et les finalités appliquées. « On peut critiquer le mot déradicalisation, qui voudrait dire qu’on retourne en arrière, ça donne une impression de « reset ». Est-ce qu’on retourne vraiment en arrière dans un engagement idéologique ? Est-ce qu’il continue de muter ? Dans ce cas-là, le terme pourrait effectivement être vu comme impropre. L’autre questionnement est plus intéressant, comme je l’ai dit, la radicalisation en tant que telle n’est pas problématique, c’est la radicalisation violente qui l’est. Est-ce que, dans un pays démocratique, on peut instaurer un délit d’opinion et donc forcer les gens à changer d’opinion ? Théoriquement, non. Ce qu’on est censé faire, c’est les pousser à renoncer à la violence. Après, ils renoncent à leur idéologie, ou en tout cas, ils changent leur moyen de militer. Toujours est-il qu’on n’est pas censé travailler là-dessus. C’est pour ça qu’en France, le mot déradicalisation a été banni.»

Malgré ces précisions et la présence d’une base commune au sein de la communauté scientifique, les définitions de ces termes récurrents restent sujets à des zones grises, des divergences et de nouveaux axes à explorer. En fonction des pays et leurs modes de gouvernance, là encore, les interprétations ainsi que les études peuvent comporter des différences.

En France, les institutions et les services publics ont opté pour le mot « désengagement » traduit comme une forme de renoncement aux recours d’actions violentes. Un but à atteindre plus réaliste que la déradicalisation. Pour Robin, cet accompagnement vers le désengagement et la désistance – une sortie de la délinquance – se concrétise par un accompagnement psychologique dans l’objectif d’insérer de la nuance et de l’esprit critique. « Je vais donner un exemple un peu provocateur. Nous parlons beaucoup des Frères musulmans en ce moment. Vous pouvez considérer qu’ils sont problématiques ou qu’ils ne le sont pas, toujours est-il qu’ils n’utilisent pas la violence pour des motifs politiques en Europe. Je mettrais le Hamas de côté, qui je pense, est un cas particulier. Si je me trouve face à un djihadiste et qu’il finit sur l’idéologie des Frères musulmans, je considère que ma mission est remplie, indépendamment qu’on apprécie leur l’idéologie ou non. D’ailleurs, certains pourraient dire que, parce qu’ils n’utilisent pas la violence, les Frères musulmans sont potentiellement plus dangereux que les djihadistes. Je suis plutôt en accord avec cette question là mais, on ne peut pas les interdire, on ne peut pas lutter contre puisqu’il y a une liberté d’opinion. S’ils finissent sur du militantisme politique, je considère avoir réussi, même si je n’apprécie pas les idées pour lesquelles ils militent.»

Le discours alternatif comme outil de désengagement

Jusqu’ici, l’utilisation du contre discours n’a pas été probante, au contraire, celle-ci a tendance à confirmer l’inscription idéologique.« Il y a ce qu’on appelle la réactance psychologique, qui est le fait que si une personne que vous estimez négativement vous présente une manière de voir les choses, vous allez avoir tendance à avoir de meilleurs a priori, mais sur la thèse opposée » dont le risque est une surenchère de contre discours improductifs. Dans le cadre du djihadisme en prison, d’autres visions de l’islam et de la religion, via l’intervention d’un médiateur du fait religieux, sont proposées. Néanmoins, si certaines personnes adhèrent, le médiateur du fait religieux est rapidement identifié et perçu comme « l’iman de la République ». Une réactance psychologique peut s’opérer de nouveau. Des ateliers collectifs sont également mis en place par les équipes pénitentiaires afin d’apporter un autre regard sur diverses thématiques et développer l’esprit critique. 

Au fil de son expérience et de ses lectures, Robin questionne une autre perspective que pourrait être la pair-aidance adaptée aux violences politiques. Celle-ci permet d’introduire un tiers entre l’institution, les professionnels rattachés et la personne accompagnée. Cette personne tierce partage des similarités en termes de vécus et permet ainsi de faire le lien. La pair-aidance s’applique aujourd’hui dans de nombreux domaines du social et du sanitaire tels que la prévention du suicide, des addictions ou encore dans la santé mentale. 

Pour compléter les discours alternatifs déjà existants et apporter un nouveau souffle au désengagement des violences politiques, la pair-aidance offrirait de nouvelles opportunités. « Des gens qui sont allés sur zone, qui savent ce que c’est, qui n’ont de leçons à recevoir de personne, et bien vous allez avoir plus de facilité à les écouter. C’est également des personnes qui étaient sur un parcours de désistance, donc, qui ont vu ce qui marchait pour eux et qui peuvent éventuellement le réadapter. On sait aujourd’hui que cette approche est particulièrement productive, c’est l’une des meilleures qui puisse exister », constate Robin, car elle peut créer de la déception vis-à-vis du groupe qui a été rejoint et permettre le désengagement de la violence. 

L’intégration des repentis dans les institutions et les équipes : un cercle vertueux

Une personne condamnée pour AMT, désengagée de son idéologie violente, inscrite dans un parcours de désistance et en collaboration avec les acteurs judiciaire, peut être appelée un repenti. « Ce seront des gens qui savent pourquoi on se radicalise. Il est alors question des facteurs motivationnels expliquant la radicalisation. Le besoin de sens, le besoin de faire quelque chose, le besoin d’appartenir à un groupe, ils ont le même vécu, ils sont passés par les mêmes choses et sont également capables de discuter, de partager leurs expériences et de montrer comment ils ont trouvé du sens autrement », explique Robin. 

Inclure des repentis dans les institutions et les équipes serait bénéfique pour les personnes ancrées dans une idéologie violente, les pairs aidants eux-mêmes, les professionnels et les institutions. S’appuyant sur la littérature scientifique, Robin mentionne l’un des facteurs principaux propice à la sortie de délinquance : la projection dans une nouvelle identité sociale positive. « Les personnes entrées dans la radicalisation juste au nom de l’ultraviolence ou par nihilisme sont plutôt minoritaires. La plupart ont des idéaux, une forme de politisation et veulent rendre meilleur le monde qui les entoure. Leur proposer une autre manière de rendre les choses meilleures, mais cette fois-ci de manière pro-sociale, c’est s’assurer de consolider le processus de désistance en cours.» Cette projection pourrait être réalisable par l’accès à la profession de pair-aidant au sein des institutions. Synonyme de réussite sociale, ces personnes œuvreraient alternativement pour un monde meilleur. Une motivation assez puissante pour se distancer d’une idéologie violente. « Ce sont ce qu’on appelle les exemples contre-stéréotypiques. Par exemple, montrer aux gens condamnés pour AMT, un ancien AMT qui travaille pour l’administration et qui réussit, parce que finalement travailler pour l’administration sur des questions de contre-terrorisme, c’est vu comme une réussite sociale.»

Ce modèle de pair-aidance est extensible au-delà de l’administration pénitentiaire et du Ministère de la Justice. Dans le cadre de la prévention primaire, les repentis pourraient également intervenir au sein de l’Education Nationale, assister à des instances telles que les Conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance à une échelle communale. À leur tour, il serait envisageable d’inclure les pairs aidants dans des binômes pour des interventions dans et hors les murs. Cependant, cette réflexion sur la pair-aidance dans le cadre des violences politiques se heurtent à des risques et des réticences. Le risque zéro n’existe pas, il est impossible de garantir un désengagement total et définitif du recours à des actions violentes au nom d’une idéologie. Les blessures collectives et historiques liées à cette problématique en ont fait une question politique où l’appréhension par l’opinion publique pèse lourdement dans la balance lorsqu’il s’agit de penser une insertion au-delà de la sanction et de la coercition. 

Actuellement, Robin évoque une gestion épidémiologique de la radicalisation, isoler les prosélytes pour éviter la propagation de l’idéologie violente. Penser une autre manière d’accompagner, de prévenir ou de réinserer, notamment par la construction d’un modèle de pair-aidance adapté, ne serait-ce pas l’un des antidotes à envisager ? 

Ressources : 

Les « QER » : récit des prémices de l’évaluation de la radicalisation dans les prisons françaises par Gilles Chantraine, David Scheer et Marie-Aude Depuiset (2022).

Le QPR de Condé-sur-Sarthe, symbole d’une dérive par l’Observation international des prisons (2020). 

L’Antiterrorisme Français : la justice et la peur par Adrien Chevrier, LSD, France Culture (2022).

Comment les idéologies fonctionnent-elles ? par France Culture (2023)

Le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, Laval (Canada) propose des formations de pairs aidants concernant le processus de radicalisation. 

– Robin conseille l’ouvrage de David Vallat « Terreur de Jeunesse « , (2016).  

Les facteurs de risque, de protection et de désistance, par la mission de recherche Droit et Justice. 

 
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